La doctrine nucléaire russe

Jeu de dames ou poker menteur ?

Königsberg Foto: Jan Pesulka/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.5Gen

(Marc Chaudeur) – Kisé kakommencé ? Dimanche dernier au large de la Californie, les Etats-Unis ont procédé à leur premier tir de missile à portée intermédiaire depuis l’époque de la Guerre froide. Semi-officiellement pour réagir au tir russe du début du mois, qui s’est moins bien passé, comme on sait. Mais on semble oublier que c’est Trump qui, en février dernier, a dénoncé la Traité sur les missiles à portée intermédiaire (INF) en vigueur depuis plus de trente ans ! Ce qui fait que, par une voie de conséquence tout à fait prévisible, la Russie s’est engouffrée dans la brèche. La doctrine nucléaire russe aux temps de Poutine reste cependant obscure. Etat sommaire des lieux.

L’explosion du missile de croisière russe Burevestnik (SSC-X-9 Skyfall) à Nyonoska, voici quelques jours, n’est certes pas faite pour nous rassurer ; et l’escalade russo-américaine encore moins. Aujourd’hui, le danger d’une escalade nucléaire semble encore plus important qu’à l’époque de la Guerre Froide.

Après la fin décidée par Trump du Traité INF sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, en février 2019, les missiles à moyenne portée sont autorisés ; ils peuvent atteindre des villes occidentales, puisque leur portée est de 2350 kms (tandis que les SS-18 « Satan » peuvent atteindre une cible à 10 500 kms !). Mais à l’heure actuelle et compte tenu de la conjoncture, à quoi ces armes nucléaires doivent-elles servir, au juste ? Cela n‘est pas nécessairement clair ; et beaucoup pensent que les Russes maintiennent sciemment la pénombre sur leurs intentions.

A l’écoute et à la lecture des experts, on perçoit aisément l’existence de deux « écoles ». La première affirme que Moscou appliquerait le principe de l’escalade… pour la désescalade. Qui veut que l’adversaire, par peur d’une guerre nucléaire mondiale, renoncerait à riposter avec ses moyens nucléaires. Le but n’en est pas humanitaire ni pacifiste : il réside plutôt dans la préparation de la victoire lors d’une éventuelle confrontation conventionnelle restreinte avec les Etats-Unis. Les experts pensent beaucoup, beaucoup trop pour nos amis des côtes baltiques, à une potentielle invasion russe dans les pays baltes : dans cette situation, l’OTAN ne réagirait guère, par peur des armes nucléaires russes.

D’autres, de la « deuxième école », estiment qu’il ne s’agit là que d’un mythe : dans certains documents, la Russie a même reculé le seuil-critère pour l’engagement de telles armes nucléaires. Ceux-là considèrent que le principe escalade-désescalade était bien plus important dans les années 1990, quand l’arsenal conventionnel russe était faible et que Moscou, pour cette raison, s’était senti contraint de se distancier de la proclamation soviétique de la renonciation à l’initiative d’une guerre nucléaire. Et depuis 20 ans, l’arsenal conventionnel russe s’est considérablement renforcé…

Pourtant, il est difficile de ne pas croire au caractère offensif du dispositif russe actuel. Pourquoi ? En surface, par suite des claironnages russes : par exemple, en 2015, un an après l’annexion de la Crimée, Poutine a proclamé pour un média russe qu’il aurait été prêt à utiliser des armes nucléaires si l’Ouest s’en était pris aux prétentions russes sur la presqu’île… Et plus concrètement : parce que Moscou est en possession de 1800 armes nucléaires tactiques, à courte portée (les SS-26, au maximum 350 kms); ces armes très nombreuses, et dévastatrices malgré cette portée « faible », ne font pas l’objet d’un Traité comme New Start, qui ne limite que la possession d’armes stratégiques d’une portée de plus de 5000 kms. Les Etats-Unis, eux, ne possèdent que quelques centaines de petites têtes nucléaires, et jusqu’à présent, pas de missiles qui y correspondent. Les Américains observent donc avec beaucoup d’inquiétude la mise en service de nouveaux missiles tactiques sol-sol : Iskander, notamment, qui peut être transporté par pièces détachées…

Mais les versions les plus récentes des rampes de lancement Iskander peuvent aussi tirer des missiles de croisière SSC-8 : et celles installées à Königsberg/Kaliningrad, aux frontières des pays baltes et tout près de l’Allemagne, marque déjà la fin du Traité INF. On peut lire que malgré les démentis de Moscou, ils ont une portée de 2500 kms (démenti par Moscou) ; ils menacent donc toute l’Europe.

On s’en doute, et faut-il dire : heureusement ?, Washington ne reste pas à la traîne : les Américains accélèrent la « modernisation » de leur arsenal et ont l’intention de développer de nouvelles armes nucléaires tactiques, pour être à égal avec Moscou. – et posséder une « petit bombe atomique » dans leur arsenal.

Des armes nucléaires « tactiques » ? Cette expression frise intimement le ridicule, si on évalue la puissance de destruction de ces « petites bombes », qui est monstrueuse. En ce sens, la distinction entre armes tactiques et armes stratégiques ressemble au délire d’un schizophrène ! Mais que vouez-vous, c’est dans cette matière que se tisse la politique internationale, ses délires et ses rodomontades.

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