L’Allemagne et les exportations d’armes

Le conflit ukrainien relance les questions sur la politique allemande d’exportations d’armes.

L'opposition allemande demande plus de transparence au sujet des exportations d'armes, mais la GroKo préfère laisser la décision à Karlsruhe. Foto: Aleksej fon Grozni / Wikimedia Commons

(Par Alain Howiller) – Si, pour une large part, la situation en Ukraine a marqué un échec majeur de la politique pro-Poutine de Angela Merkel et surtout de son Ministre des Affaires Etrangères Frank-Walter Steinmeier, au point que Wolfgang Schäuble -même s’il a essayé de minimiser son propos par la suite- a comparé la manière dont le Président russe a mis la main sur la Crimée aux méthodes de Hitler vis-à-vis de la Tchécoslovaquie ou de la Pologne, elle ne manque pas d’interpeller sur la politique allemande lorsqu’on apprend que, malgré le conflit, l’industrie continue de livrer des armes à Moscou ! Bien sûr, d’autres démocraties occidentales -on attend avec intérêt la décision finale du gouvernement français à qui la «Fédération de Russie» a commandé deux navires de guerre ultra sophistiqués- font de même et, jusqu’ici, seule la Grande Bretagne a suspendu ses livraisons d’armes, mais pour la première fois un sondage (Allensbach-Umfrage) souligne que 76% des Allemands considèrent que la situation ukrainienne a détérioré les relations germano-russes et 55% des sondés considèrent que la Russie constitue, à nouveau, un danger.

Du coup, prennent un relief particulier la demande des élus de «Die Linke» que le Bundestag soit mieux informé des contrats d’armement et, surtout, la procédure engagée par trois élus «Verts» devant la «Cour Constitutionnelle de Karlsruhe» tendant à obliger le gouvernement à mieux informer le Parlement des projets et décisions concernant les livraisons d’armes. Un relief qui mérite d’être jugé à sa juste valeur en se rapportant à la distorsion des opinions qui persiste à se manifester entre… l’Est et l’Ouest du pays ! Alors que 46% des Allemands habitant l’Ouest du territoire sont pour des sanctions contre la Russie en raison de l’annexion de la Crimée, ils ne sont que 28% à l’Est à partager ce sentiment. Au contraire de l’opinion exprimée à l’Ouest, une majorité d’habitants de l’Est manifeste de la compréhension à l’égard de cette annexion !

Trois députés «verts» et «Die Linke» ! – Les trois députés «Verts» -Hans Christian Ströbele (élu de Berlin-Kreuzberg-Prenzlau), Claudia Roth (élue de Bavière) et Katja Keul (élue de Basse-Saxe)- revenant sur des éclaircissements demandés en 2011 au gouvernement sur des ventes d’armes (notamment des chars Leopard 2) à l’Arabie-Saoudite et à l’Algérie et restées sans réponse, veulent obtenir de Karlsruhe que, en matière de ventes d’armes, la cour définisse précisément les obligations d’information du gouvernement et donc les possibilités de contrôle par le parlement. Le contrat de coalition CDU/CSU/SPD prévoyait, déjà, qu’on affine les règles en la matière : aucun progrès n’ayant été enregistré sur ce plan au sein de la GroKo, les demandes des «Verts» et de «Die Linke» pourraient bien accélérer les débats.

D’autant qu’on prête au Vice-Chancelier SPD et Ministre de l’Economie Sigmar Gabriel des manoeuvres dilatoires tendant à empêcher la livraison des chars à l’Arabie-Saoudite qui n’est pas précisément un exemple de démocratie ! Or, jusqu’ici la la Loi Fondamentale allemande (Constitution) précise simplement que : «Certaines armes destinées à servir les opérations de guerre ne peuvent être mises en production, ne peuvent être développées ou mises en circulation sans autorisation du gouvernement» (Article 26 II : «Zur Kriegsführung bestimmte Waffen dürfen nur mit Genehmigung der Bunsdesregierung hergestellt, befördert und in Verkehr gebracht werden.»). C’est un peu court et très général, comme on le voit, même si un certain nombre de dispositions légales précisent et encadrent la politique menée.

Une firme du Bade-Wurtemberg, victime ? – Mais le «Conseil de Sécurité», présidé par la Chancelière, qui examine les décisions prises en la matière, ne compte pas de représentants de l’opposition et ne prévoit aucun contrôle parlementaire, hormis l’approbation «a posteriori» du bilan annuel présenté plusieurs mois après la clôture d’un exercice budgétaire donné. Le système actuel comporte certaines failles et il n’est pas impossible qu’une filiale espagnole du fabricant de chars procède à une première livraison de chars suite à un accord entre gouvernements espagnols et allemand, et on a trouvé des armes allemandes (en provenance, notamment, par on ne sait quels détours illégaux , d’un producteur du Bade-Wurtemberg !) en Syrie, en Lybie, voire en… Ukraine !

L’Allemagne, il est vrai, est aujourd’hui le troisième exportateur mondial d’armements et l’industrie de fabrication d’armes et de munitions constitue, ici comme ailleurs, un «complexe militaro-industriel» lourd de ses capacités lobbyistes s’appuyant sur le poids de sa puissance financière et sur la réalité sociale de ses 80.000 salariés (165.000 en France, à titre de comparaison !).

Le budget allemand de la Défense : +6% ! – A l’heure où la plupart des budgets de la défense -en dehors de celui des USA (- 7,8% en 2013, du fait notamment du retrait d’Afghanistan !)- progressent sensiblement (Chine +74% en 2013, en Afrique, au Proche et au Moyen Orient, au Japon, dans la Fédération de Russie, même en Allemagne +6%), l’industrie allemande se montre plus que réservée devant les initiatives des «Verts» et de «Die Linke». La GroKo, quant à elle, a avancé, sur l’initiative de l’ancien Ministre de la Défense, actuel Ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière, une proposition d’amélioration de l’information (seulement) du Parlement. Le Ministre rappelant que la politique d’exportation d’armes reste une compétence de l’exécutif et que ce dernier ne peut que s’en tenir, à la demande même des clients, à une nécessaire discrétion, propose que le Parlement soit informé, au plus tard 14 jours après leur conclusion, des contrats conclus. Reste à savoir ce que décidera -dans quelques mois- la Cour Constitutionnelle.

Berlin bloque les livraisons d’armes à la Russie. - Dans une réponse aux questions posées par les  représentants de «Die Linke» et les «Verts», le Ministère de la défense vient d’annoncer que le gouvernement allemand avait (ndlr : enfin !) décidé de bloquer les livraisons d’armes à la Fédération de Russie et de réexaminer l’ensemble des autorisations d’exportations accordées jusqu’ici en matière d’exportations d’armement. Redoutant une décision du même ordre de la part du gouvernement français à qui ils avaient -notamment- commandé deux batiments de guerre ultra-perfectionnés, les représentants russes ont prévenu qu’ils attaqueraient devant les juridictions internationales la non-livraison éventuelle des navires et qu’ils réclameraient d’importants dommages et intérêts.

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