Le livre de Bolton et l’Ukraine

« Je hais le délateur, mais j’aime la délation »

John Bolton refuse de témoigner devant les juges et préfère les espèces sonnantes et trébuchantes Foto: Donkey Hotey/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/2.0Gen

(Marc Chaudeur) – L’auteur de cet ouvrage monstrueux de 952 pages est patibulaire, mais le contenu est passionnant sur au moins 5 points essentiels. Notamment sur les relations de Donald Trump avec l’Ukraine, absolument scandaleuses et qui auraient dû mener à la destitution du président américain. Et puis de manière générale : bon sang, quel gâchis, durant ces 4 dernières années…

Trump, manifestement, n’aime pas les Ukrainiens. Ils représentent un obstacle aux bonnes relations que le président américain aimerait tant développer avec Poutine, qui présente tant de similitudes avec lui – au moins dans la conception qu’ils se font tous deux du pouvoir politique. Que la situation se présente en réalité dans le sens exactement inverse ne frappe pas Trump : c’est-à-dire que ses relations avec l’Ukraine – et avec l’Europe, du même coup – seraient bien meilleures s’il se distanciait plus nettement de Poutine… Mais Trump est Trump, nom de Trump !

Inversement, les Ukrainiens dans leur ensemble sont plutôt américanophiles : l’ancien président Porochenko ne manque pas de le rappeler à chaque occasion, avec une certaine malice, depuis que Trump a exercé sur le gouvernement ukrainien une pression scandaleuse qui relève du chantage. En substance, il y a 2 ans : je vous lâche mon aide de 391 milliards de dollars si vous me lâchez des infos, vraies ou fausses, sur l’activité de Hunter Biden, le fils de mon adversaire politique ; vous savez, Biden, qui travaille à Burisma. Une compagnie pétrolière ukrainienne à l’époque.

Soyons juste : on oublie souvent que l’affaire a commencé par le limogeage d’un procureur qui enquêtait sur Burisma, une entreprise moyennement honnête. Mais le procureur en question, Viktor Chonine, ne l’est pas davantage. Comme quoi rien n’est simple.

En bref, dans The Room where it happened (Simon & Schuster), John Bolton confirme ce qu’on savait avec moins de détails depuis au moins janvier 2020. Un agent de la CIA, courageux lanceur d’alerte, signale à ses autorités que le président Trump utilise sa fonction pour solliciter l’interférence d’un pays étranger dans l’élection de 2020. Il a en effet entendu une conversation téléphonique entre Trump et le président ukrainien, Wolodymyr Zelensky. Cela finit par se répandre dans toute la classe politique, et la procédure d’impeachment se met en place, au grand dam des groupies du Président Orange.

Et comme prévu, les démocrates réclament la comparution de John Bolton, le conseiller de Trump à la sécurité nationale. Et plus tard, la destitution de Trump. Mais Bolton n’a pas témoigné, et par ailleurs le Sénat, hélas, est aux mains des Républicains : Trump ne sera pas destitué. C’est que, voilà : Trump a bloqué la demande des juges pour que Bolton témoigne devant la justice. Facile à comprendre pourquoi. Les raisons à cela, ce sont les éléments assez précis que l’ancien conseiller pendant 17 mois (et limogé en septembre 2019) expose dans son ouvrage paru mardi dernier.

L’ouvrage de Bolton fourmille d’innombrables détails qui, très concrètement, font toucher du doigt l’incapacité crasse du président et l’état de déliquescence du gouvernement américain, au moins dans l’entourage de Trump, comme contaminé par l’ignorance et l’impulsivité désastreuse du milliardaire à la touffe.

On a déjà beaucoup parlé de ce qu’il croyait que la Finlande faisait partie de la Russie et n’était pas capable de la situer sur une carte. Mais tous les agissements de Trump en matière de politique extérieure sont de ce niveau. Quand Trump reçoit les représentants des trois Etats baltes, sa langue fourche et on s’aperçoit qu’il pense avoir affaire à des diplomates des Balkans, etc. On oublie cependant de rappeler que tous les présidents américains ou presque sont aussi ignorants que Trump : depuis au moins Kennedy, ils confondent allègrement Iran et Irak, Turquie et Tunisie, plus récemment Tchéquie et Tchétchénie, parlent de Grécie, etc etc ; cette ignorance très lourde de conséquences atteint des sommets dangereux pour ce qui concerne les pays arabes. En réalité, il s’en fichent : il y a les Etats-Unis et il y a une masse indistincte autour d’eux.

Même un simple grappillage dans le pavé de Bolton laisse l’ impression dégoûtante d’un grand gâchis. Pourquoi d’ailleurs n’a-t-il pas témoigné devant la Justice de son pays plutôt que de gagner des millions de dollars avec ce livre ? Un mauvais goût dans la bouche. Et John Bolton, jadis ardent défenseur de la Guerre au Vietnam et partisan du départ des USA de l’ONU, ancienne éminence grise de Reagan et de Bush, ne vaut pas mieux que son ancien chef. Il a le mérite de nous le faire comprendre.

John Bolton, The Room where it happened, 952 p., Simon & Schuster.
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