L’économie du Grand Est – entre le coronavirus et les multinationales
Alain Howiller analyse les conséquences de deux facteurs sur l'économie alsacienne : le coronavirus et la présence de nombreuses multinationales.
(Par Alain Howiller) – Il y a et il y aura nécessairement un « après » l’ébranlement provoqué par le coronavirus. Un « après » pour l’économie et sans doute pour l’ensemble d’une société éprouvée par une forme de « mondialisation » à laquelle personne ne s’attendait. Dans cet « après », on s’interrogera inévitablement sur la place que la Chine a su prendre sur l’échiquier mondial, qu’il s’agisse de la diplomatie, de la défense, de l’économie. Il aura fallu un « accident sanitaire » d’ampleur pour prendre conscience des risques que la politique chinoise, par ses prises de contrôle d’entreprise, par ses investissements, par ses « moins-disants » sociaux, risque de faire peser sur les économies occidentales, européennes en particulier. Et voilà qu’émergent de douteux appels à un retour à la souveraineté nationale en matière sanitaire au moment où, tant qu’à faire, l’Union Européenne essaye de se réveiller pour relancer ses convergences !
Que deviendra, dans ce contexte, le projet de l’implantation envisagée en Alsace, près de Strasbourg, de la première usine construite hors de Chine, du géant des télécommunications Huawei, la bête noire de… Donald Trump ? L’enjeu d’une telle implantation est de taille, puisqu’il s’agirait, dans une première phase, d’un investissement de l’ordre de 200 millions d’Euros, créant 500 emplois et dont la production serait destinée à toute l’Europe !
Huawei et Amazon en Alsace ? – Rien n’est encore joué sur ce dossier, alors qu’un autre projet d’investissement d’un groupe étranger a été avancé. Là encore, prudence sur cet espoir de l’installation, également en Alsace, du côté de Sélestat dit-on, d’un important centre de logistique d’Amazon, le géant de la vente en ligne. La concrétisation de ce projet viendrait renforcer le fort développement, sur les rives du Rhin, de ces centres logistiques au risque, pour certains, de faire de plus en plus de l’Alsace un « couloir à camions » ! Ces deux projets illustrent, si besoin en était, l’attractivité des zones frontalières, le secteur du Grand Est en étant une illustration importante à l’image des autres régions frontalières proches de l’Allemagne, de l’Italie, de la Suisse, de la Belgique, du Luxembourg ou de l’Espagne. C’est ainsi que le Grand Est est la troisième région française, après l’Ile de France et les Hauts de France, pour le poids sur l’emploi des multinationales et la première région pour le poids des multinationales étrangères.
C’est ce qui ressort, notamment, d’un intéressant dossier présenté par le « Service des Etudes et de la Diffusion de l’INSEE du Grand Est » avec la collaboration du « Conseil Economique, Social et environnemental Régional du Grand Est (CESER) ». Le thème en est : l’internationalisation de l’économie du Grand Est traduite dans un résumé évocateur : « l’Internationalisation de l’économie du Grand Est s’intensifie malgré la désindustrialisation ». D’entrée de jeu, l’étude relève, tout en soulignant que l’internationalisation a des effets positifs (sur l’emploi en particulier), qu’elle peut aussi être un facteur de fragilité (dépendance de centres de décision situés le plus souvent en dehors de la région) – « L’internationalisation », souligne le dossier, « est d’autant plus importante dans la région du Grand Est que cette dernière est la région métropolitaine qui présente la plus grande frontière terrestre avec les pays limitrophes. Cette caractéristique influe sur son développement économique, par exemple à travers le travail frontalier. »
La grande dépendance à l’égard des multinationales. – Si les données statistiques s’appuient sur des chiffres remontant à 2010/2015, les tendances dégagées illustrent l’évolution que le Grand Est et plus particulièrement l’Alsace connaissent actuellement. Un élément se dégage au premier chef à ce propos : 48% des salariés des secteurs marchands non agricoles sont employés par des multinationales, et le Grand Est est la 3ème région ayant le plus d’emplois dans les multinationales ; mais c’est la… dernière région pour l’emploi assuré par des multinationales françaises. Pour les emplois industriels, 68% dépendent d’une multinationale, mais seuls 4% dépendent d’une… multinationale française ! C’est dire la grande sensibilité de la région vis à vis des effets de la mondialisation ! Si on prend les seuls emplois salariés marchands, 48% dépendent de multinationales : 57% dans le Bas-Rhin, 47% dans le Haut-Rhin.
L’internationalisation s’est traduite ces dernières années par une sensible augmentation du nombre d’entreprises relevant du secteur des services (centres logistiques notamment) avec cette caractéristique de s’établir davantage dans la proximité de l’aire des métropoles (notamment Strasbourg), alors que les producteurs de biens manufacturés participent davantage à l’économie des espaces ruraux. En prenant en compte l’ensemble de l’économie (au delà donc du seul secteur industriel), le dossier de l’INSEE relève : « En 2015, les multinationales occupent une place importante dans l’économie régionale : elles représentent 541.000 emplois, soit près de 50% de l’emploi salarié des secteurs marchands non agricoles. 18% de l’emploi dépend des multinationales étrangères… 33% de l’emploi dépend des multinationales dans l’industrie, 16% dans le commerce et 13% dans les activités spéciales. »
Le poids des investissements allemands – On se souvient peut-être de cette étude du cabinet « E&Y » (anciennement « Ernst et Young », eurojournalist.eu des 21.12.2016 et 15.04.2019) qui soulignait que 400 entreprises allemandes – dont une cinquantaine venait du Pays de Bade, les autres venant de Bavière, de Rhénanie-Palatinat et du reste du Bade-Wurtemberg – s’étaient installées en Alsace. « Plusieurs groupes industriels ont intégré le marché français en créant leur premier établissement français dans la région Alsace : le groupe Hager à Obernai, le groupe Schaeffer à Haguenau ou encore le groupe SEW à Haguenau (et Forbach). Dans le commerce, le groupe Würth a installé une grande plate-forme logistique à Erstein où il a son siège français », rappelle l’étude de l’INSEE.
Dans le contexte économique actuel, l’étude de l’INSEE/CESER vient opportunément rappeler la grande dépendance de l’économie de l’Est de la France vis à vis des investissements étrangers. C’est dire l’importance pour les rives du Rhin de ce qui se joue dans le cadre de la future (et nouvelle ?) mondialisation. Tenant compte des derniers développements de « l’épidémie du coronavirus » en France, Bruno Le Maire, le Ministre de l’Economie et des Finances (1), n’exclut plus que l’économie française puisse souffrir davantage qu’il ne l’avait pensé au départ, lorsque la crise semblait devoir concerner la Chine essentiellement. La croissance pourrait descendre en dessous de 1% ! Quel sera l’effet de cet éventuel repli ? Plus que jamais, les effets de la crise en France vont se conjuguer à ceux des décisions prises en dehors du pays : c’est, une fois de plus, le moment de s’accrocher au célèbre aphorisme qui affirme que « le pire n’est jamais certain ! »
(1) Eurojournalist.eu du 2.03.2020.
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