Les missiles à l’Est, les fascistes à l’Ouest

Le missile russe Iskander-M : pas dans mon jardin ! Foto: Vitaly V. Kuzmin / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(MC) – Vladimir Poutine a été réélu très confortablement le 18 mars 2018, avec 76% des voix. Il est au pouvoir depuis 18 ans maintenant. Et l’évolution récente de la politique internationale russe n’est pas faite pour rassurer les Européens ; surtout dans son volet militaire.

La réélection de Monsieur Musclor avait été précédée d’un discours à la nation. Le 1er mars dernier, Vladimir Poutine présentait le nouvel arsenal de l‘armée russe, digne d’une mauvaise bande dessinée. La présentation s’accompagnait d’un étrange clip de synthèse de mauvaise qualité. Comme un brocanteur futuriste qui aurait égrené une chanson de Boris Vian, le Président russe sortait de son sac de jute : un missile de croisière à propulsion nucléaire, un drone sous-marin à haute profondeur et plus rapide que tous les sous-marins et torpilles, na, le missile balistique intercontinental Sarmat et, last but not least, le missile Kinjal, capable de modifier sa course comme un rusé glouton sibérien à des vitesses d’au moins mach 10 (plus de 12 000 km/h). En réalité, le missile sol-air Kinjal, qui peut porter des charges nucléaires, est une version développée du missile sol-sol Iskander, qu’on devrait pouvoir admirer lors du défilé du 8 Mai sur la Place rouge et qui d’ores et déjà, menace l’Europe baltique sur un rayon très important.

On sait depuis février de cette année que l’armée russe a installé ses missiles nucléaires Iskander dans l’enclave de Königsberg/Kaliningrad. Des missiles d’une portée de 500 kms… Voici quelques jours, lors d’une préparation nocturne de la parade du 8 Mai, le site de l’armée russe montrait quelques images de ces missiles de 7 m de long propulsables à partir de très lourds camions. Une portée de 500 kms, cela signifie que ces missiles peuvent atteindre Varsovie ou Berlin, et aussi Copenhague.

Par l’intermédiaire de l’agence russe Interfax, un haut responsable militaire a déclaré : « Les habitants de l’enclave doivent regarder et constater que les armes les plus modernes de l’armée russe sont disposées en vue de protéger la région. » Pour protéger les habitants des méchants et sanguinaires Européens, en somme, et des forces de l’OTAN. Il est vrai que Poutine claironne ainsi pour réagir, selon ses dires, à l’installation de 4 bataillons de l‘OTAN dans les pays baltes et en Pologne, au courant de l’année 2017. Interfax précise que les missiles Iskander ont été installés à Tcherniakhovsk, qui s’appelait Insterburg avant 1945, au temps où l’enclave constituait la moitié nord de la Prusse orientale allemande. Immédiatement limitrophes, les pays baltes sont une fois de plus directement menacés, même si, par l’effet d’une insondable charité, Poutine avait décidé jusque là de ne pas procéder à des essais dans la région « pour ne pas effrayer nos voisins lituaniens et polonais ».

Les missiles Iskander, alias SS-26 Stone (selon le code OTAN), sont là pour durer, manifestement. Sauf catastrophe majeure, bien sûr – alors, ils dureraient très peu et nous pas davantage. En réalité, il s’agit d’un système incluant approvisionnement et contrôle du véhicule de lancement. Sa charge utile est de 800 kg : à fragmentation, perforante, à IEM (impulsions électromagnétiques, visant à détruire les systèmes électroniques), et … nucléaires. Des missiles Iskander sont d’ailleurs installés en d’autres pays :  en Syrie pour aider l’ami Bachar al Assad (depuis le 8 décembre 2012, en réaction à l’installation des Patriot de l’OTAN sur le sol turc) et en Algérie (depuis 2013).

En tout cas, c’est une bien mauvaise nouvelle que cette lourde confirmation du rôle clé de l’enclave de Königsberg/Kaliningrad dans la stratégie russe. Emportée par l’Armée rouge en 1945, la Prusse orientale est devenue ensuite une sorte de glacis. La moitié nord, dévolue à l’URSS tandis que le sud revenait à la Pologne bientôt « socialiste », a été largement transformée ; et à l’époque Brejnev, dans les années 1970, la ville natale de Kant, Königsberg, a été elle-même partiellement détruite. Vingt ans plus tard, Mikhail Gorbatchev a décrispé la poigne soviétique ; les visites des anciens habitants allemands ont été facilitées pendant quelques années. Mais hélas, l’arrivée au pouvoir d’un ancien du KGB, Vladimir Poutine, n’a pas tardé à signifier un retour en arrière. Et un retour à la peur pour la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie et la Pologne.

Et, en conséquence de cette peur, l’appel à constituer une armée européenne digne de ce nom est de plus en plus audible. Entre la dictature poutinienne, son appareil d’État héritier du système policier soviétique et l’aventurisme impulsif d’un Trump, on ne peut éviter de poser ce problème. Encore faut-il que l’Europe existe réellement. Encore faut-il, surtout, considérer comme réellement souhaitable la création d’une armée de plus dans un monde sursaturé d’armements de plus en plus lourds et omniprésents…

S’ajoute à cela cependant un facteur très délétère. Dans l’actualité politique européenne, le ver est dans le fruit : nous voulons parler de ces partis populistes et d’extrême -droite qui envahissent l’ opinion publique européenne et qui se montrent tous de fervents partisans, souvent rétribués (il en habite à quelques mètres du lieu où nous écrivons) de la dictature Poutine. Et donc partisans, par voie de conséquence directe, du vol noir des Iskander sur nos têtes.

Pensons à tout cela quand nous verrons tout à l’ heure chars et armements de pointe défiler à Moscou, et des foules marcher en rang dans plusieurs pays d’ Europe en arborant le portrait de Poutine à la boutonnière.

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