« L’Europe – le projet qui mérite de s’engager pour une vie… »

Interview avec Roxane Revon, battue de peu au deuxième tour de la « primaire vraiment citoyenne », LaPrimaire.org.

"La politique autrement" - Roxane Revon l'a porté et la porte toujours... Foto: privée

(KL) – Roxane Revon a été battue sur le fil par Charlotte Marchandise qui elle, est actuellement à la recherche des signatures nécessaires pour pouvoir participer au premier tour des élections présidentielles. Pour les candidats, cette campagne citoyenne était une véritable expérience démocratique, mais également personnelle…

Roxane, vous avez terminé « LaPrimaire.org » à la deuxième place derrière Charlotte Marchandise. Déçue d’avoir échouée de si peu ?

Roxane Revon : La déception a été réelle, mais je m’y préparais. Au fond, passé le moment des résultats, je suis très heureuse de cette position étant donné le caractère extrêmement européen de mon programme, ce qui n’était pas un thème facile. Nous avons proposé la refonte d’un modèle de société local, français et européen qui, alors que l’Europe a mauvaise presse paraît-il, a été largement soutenu. Et ce n’est que le début, il y a encore beaucoup à dire, à écrire et à faire sur ce sujet. Ce qui est difficile, en revanche, c’est d’analyser les résultats de laPrimaire.org hors des grilles de lecture classiques d’un vote. Ce n’est qu’en faisant une analyse lucide de ce qu’il se passe lors d’un vote en ligne que nous pourrons avancer dans la voie de modernisation de notre appareil démocratique. Il faut comprendre le nombre de votants, la formation du réseau drainé par la plateforme et celui apporté par chaque candidat, etc. Je pense d’ailleurs qu’il serait très utile de formaliser ces retours d’expérience afin d’aider les citoyens à appréhender ces nouvelles formes de vie démocratique, qui, elles aussi, présentent certains écueils. Vous voyez, cette deuxième place me permet de poursuivre mon chemin et j’ai pas mal de projets sur lesquels je pense pouvoir encore être utile.

Que retenez-vous de cette campagne intense ?

RR : Essentiellement des rencontres, qui m’ont permise de développer un projet, mais aussi une connaissance pratique. Il y deux choses (qui peuvent paraître contradictoires) que je retiens, et qui ont trait à la forme même d’une campagne politique : la première, c’est que le contenu d’un projet de société ne s’improvise pas ; la seconde, c’est que le contenu n’est pas si déterminant pour remporter une élection. Je me suis engagée dans laprimaire.org à partir d’une réflexion entamée il y a deux ans sur le renouveau d’un modèle de société européenne et d’une nouvelle gouvernance, d’un lien à repenser entre représentés et représentants, entre les citoyens européens et leurs dirigeants. Mais nous n’avions que six mois, avec l’aide de mes soutiens, pour concrétiser ces idées en un projet clair, pratique et cohérent. Je suis très fière du travail accompli mais c’était un vrai challenge. Et, paradoxalement, pour arriver en tête de laPrimaire.org, la capacité à développer des réseaux importait autant, voire plus, que le contenu mis en place. Il y a donc quelque chose de difficile à réconcilier dans un temps si court lorsque l’on fait une campagne politique, et je pense que, là aussi, il y a de nombreux outils à développer.

Au deuxième tour, on a remarqué des positions assez divergentes sur l’Europe. Vous avez défendu une position très constructive pour l’avenir de l’Union Européenne. Pensez-vous que le sujet de l’Europe a une place suffisante dans les primaires à droite et à gauche ?

RR : Ce sujet est encore trop souvent à peine effleuré dans les primaires de droite, de gauche ou les programmes des candidats. Ces jours-ci nous fêtions les 30 ans de l’initiative Erasmus dont je fais partie, eh bien, cette génération Erasmus attend aujourd’hui beaucoup plus des politiques et des théoriciens que de simples professions de foi « pro » ou « anti » européennes. Elle veut croire en un nouveau projet de société, qui mette en avant des valeurs utiles en ce XXIe siècle. Aujourd’hui un individu est touché de manière égale par « le très proche » du réseau local et le « très lointain » d’une grandeur nationale ou continentale. L’investissement près de chez soi, le déploiement d’une économie locale stable, sont tout aussi importants que le respect des droits fondamentaux, la sécurité des personnes, le développement culturel d’une nation ou d’un continent. Personne ne veut sauver aujourd’hui l’Europe de Junker et l’entre-deux dans lequel nous nous trouvons est profondément néfaste à notre génération qui se désintéresse de l’espace politique. Nous devons construire un projet européen de société aussi cohérent que celui du nationalisme du XIXe siècle, mais qui puisse porter l’espoir d’un avenir meilleur et répondre aux défis de notre temps. J’ai été très heureuse de porter un projet ferme sur ce point. Certes, c’est un sujet clivant, et tant mieux ! C’est cela la politique, pouvoir défendre de véritables alternatives d’avenir et non des consensus mous.

Pour moi, ce qui s’est joué et se joue encore dans cette campagne, c’est l’avenir de notre vivre ensemble au sein du projet européen, qui est l’horizon indépassable de notre engagement au 21ème siècle. Pour toute jeunesse née à la fin du 20ème siècle, siècle qui a vu la fin des grandes religions politiques, le projet qui mérite de s’engager pour une vie : c’est l’Europe. Pas seulement parce que ce projet a pacifié un continent, comme on se borne à nous le répéter. Mais plus encore, parce que c’est l’espace dans lequel on peut repenser l’exercice de la démocratie. Nos modèles sont fatigués, et ce n’est pas seulement une question d’épuisement des schémas idéologiques. L’Europe, c’est mon intuition, peut être, au-dessus du cadre national qui perdurera, le lieu d’exercice de notre souveraineté réelle et d’un dialogue fécond entre le citoyen et ses dirigeants.

Je suis convaincue que la question centrale de notre temps va être celle de notre « autonomie ». Dans l’ère de la « post-vérité » dont on parle beaucoup, où chacun choisit de croire en une information en fonction de ses goûts comme l’on se choisit une série TV, la question de savoir comment nous créons nos normes communes est essentielle. C’est d’ailleurs ce à quoi je travaille en ce moment dans le cadre de ma thèse à l’Université de Nantes.

Pensez-vous que des formats citoyens comme « LaPrimaire .org » puissent représenter l’avenir d’une démocratie participative ?

RR : Oui et non. Comme je le disais, je suis persuadée que nous sommes à l’aube d’un renouvellement profond du lien démocratique et de la façon dont nous choisissons nos dirigeants, tant sur le fond que sur la forme. On le voit, les citoyens ont des attentes de plus en plus fortes, tout en exprimant une méfiance, ou une lassitude, toujours plus grande face aux mécanismes anciens de la démocratie. Si nous ne voulons pas que cette exaspération conduise à des choix contestables et si la démocratie continue d’être le plus sûr moyen de se choisir un gouvernement légitime, alors nous devons aussi travailler sur les modes de formation de cette volonté générale et de son expression. En cela LaPrimaire.org a la vertu formidable d’ouvrir la voie, de montrer que cela est possible. Ce n’est sans doute pas parfait, mais ça y est, on l’a fait et d’autres initiatives, peut-être très différentes, pourront prendre le relais. Chaque fois, le citoyen se trouve toujours un peu plus familier de ces nouvelles formes, et passée la critique que cela relève du « gadget », peut s’en emparer. Dans ce sens, oui, LaPrimaire.org et les autres formats citoyens participent à la formation de l’avenir démocratique.

Maintenant, cette démocratie, qu’on la baptise « participative » ou autre, c’est un processus en évolution et il faut d’autres initiatives de la sorte pour maintenir l’adhésion. Par ailleurs, il est dangereux de brouiller les pistes sous prétexte que l’on est « citoyen », c’est-à-dire, dans ce cadre, « hors-parti ». Il me semble que la vertu de ne pas faire parti d’un corpus idéologique contraignant réside dans le fait de proposer des alternatives fortes et actuelles, des discussions, et non pas de faire croire que tous les citoyens ont, au fond, les mêmes idées, ce fameux « bon sens du peuple contre les élites », qui est une forme de totalitarisme dans lequel le dialogue n’a plus cours. Renouveler la démocratie, c’est plutôt permettre à chacun de savoir plus nettement quel est le projet réel pour lequel il s’engage en déposant un bulletin dans l’urne et ce en quoi il peut contrôler l’action de son représentant.

N’avez-vous pas l’impression que cette primaire citoyenne ait été lancée trop tard ? Ne croyez-vous pas qu’une préparation plus longue et avec des moyens plus importants aurait encore mobilisé bien plus de participants que les 100.000 personnes inscrites ?

RR : C’est possible, et c’est vrai qu’on aurait pu espérer plus de votants, surtout sur internet. Et si l’on considère qu’il reste seulement deux mois, après le second vote, pour réunir les parrainages, c’est en effet un peu court, mais c’est une première.

Outre le temps que vous avez investi dans cette campagne, quels étaient vos frais et qui les a assumé ?

RR : LaPrimaire.org nous a remboursé une partie des frais engagés et l’autre partie a été assumée par les candidats eux-mêmes. C’est aussi pour cela que j’ai du continuer à travailler d’octobre à décembre, même si cela m’a valu de faire pas mal de déplacements en plus. Mais je m’étais arrangée pour me dégager de mes activités professionnelles de janvier à mai si j’avais été la candidate retenue. Par ailleurs, la plateforme vient tout juste de se créer et tente de réunir des dons, il est donc normal que nous assumions chacun notre part. Je le savais en m’y engageant.

A titre personnel – qu’est-ce qui vous a marqué dans cette campagne pendant laquelle vous avez sillonné la France en long et en large, à la rencontre des citoyens et citoyennes ?

RR : L’engagement des personnes, de ma génération mais pas seulement, pour trouver de nouvelles formes de vie en société. Ceux qu’on dit cyniques, blasés et de courte-vue, se sont révélés infiniment plus motivés et concernés par ces questions. L’envie de faire de l’Europe un espace démocratique nouveau, qui marche et qui montre la voie, s’est révélée être le leitmotiv de beaucoup d’entre eux. Et je les en remercie, car sans eux, je ne pense pas que j’aurais pu arriver au programme que nous avons construit, et qui m’a permis d’obtenir cette seconde place. Leur envie s’est trouvée faire écho à mon intuition au-delà de mes espérances. Aujourd’hui il s’agit d’une responsabilité pour moi, de poursuivre dans cette voie.

Allez-vous continuer votre engagement politique ? Est-ce que « LaPrimaire.org » participera aux élections européennes en 2019 ?

RR : Je l’espère. Je pense même qu’il serait intéressant de lancer une initiative parallèle à l’élection européenne classique de 2019. Le schéma actuel présente trop peu d’intérêt tant il repose sur le parachutage de candidats à recaser venant des différents partis politiques. Une élection transnationale, uniquement en ligne, pour élire une cinquantaine de candidats transnationaux sérieux, qui, une fois choisis, s’engageront à une chose : proposer de nouvelles formes de vie démocratique européenne à travers des institutions renouvelées (et donc la proposition d’une Constitution). Je serai ravie que LaPrimaire.org en soit l’outil.

 

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