L’incroyable situation de l’armée allemande

Ministre Ursula von der Leyen est la victime d'un incroyable pataquès en Irak

38 des 89 "Tornades" de l'armée allemande ne sont pas en état de fonctionnement. Et ce n'est pas tout. Foto: EdMarshall/MOD / Wikimedia Commons / OGL

(Par Alain Howiller) – Sans doute n’a-t-elle pas pensé à cette peu élégante déclaration de Jacques Chirac, alors Président de la République. Confronté à une série d’ennuis, le président français avait lancé, excédé : «Décidément, les… emmerdes volent en escadrille !» Séjournant en Irak – et plus précisément dans le Kurdistan, des combattants Peshmergas – Ursula von der Leyen- car c’est d’elle qu’il s’agit ici- aurait pu faire sienne la déclaration française. Face aux menaces de «l’Etat islamique», elle était venue transmettre à ses hôtes, les salutations et les encouragements d’Angela Merkel. Elle était venue aussi accueillir la première livraison d’armes ainsi que les instructeurs que fournissait la République Fédérale. La livraison était également accompagnée de matériel sanitaire. Rien n’eut lieu comme prévu lors de son voyage et von der Leyen a du multiplier les improvisations pour faire (relativement) bonne figure.

Les autorités officielles irakiennes n’ont pas pu… accueillir la Ministre allemande de la Défense : les représentants irakiens s’étaient envolés pour le sommet de l’ONU, à New York. Exit donc l’escale à Bagdad ! Les instructeurs n’ont pas pu arriver à temps au Kurdistan, puisque à la suite de plusieurs pannes, l’avion qui les transportait a pris du retard dans leur acheminement. La Ministre n’a pas pu assister, comme prévu, aux premières séances de formation organisées pour les peshmergas. Ce qui finalement avait peu d’importance puisque la cargaison d’armes… n’était pas arrivée, en raison de pannes ayant affecté l’avion (néerlandais loué). Von der Leyen devait aller saluer, à son retour, une délégation de peshmergas : ceux-ci devaient se rendre en Bavière pour y être formés au maniement d’armes anti-chars. Faute d’avion, les soldats kurdes n’ont pas pu arriver à temps en Allemagne. La Ministre a tout de même pu serrer la main à Massoud Barsani, le Président de la région autonome du Kurdistan, qui réclama des armes plus modernes et non des équipements anciens qui «remontent pratiquement à la… Deuxième Guerre Mondiale !…»

Rendez-vous manqués, pannes et dysfonctionnements ! – L’incroyable «pataquès» qui accompagna la visite de la Ministre mirent certes le doigt sur les rendez-vous manqués en Irak et au Kurdistan : il souligna surtout l’état des équipements de l’armée, dont les pannes et les dysfonctionnements furent à l’origine directe des incidents. La sensibilisation à l’état de l’armée de terre, mais aussi de la marine et de l’aviation du pays qui se classe pourtant parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux d’armements, a été renforcée par le fait que, presque concomitamment à la visite de von der Leyen en Irak, les inspecteurs généraux des armées ont présenté à la Commission de la Défense au Bundestag, un rapport d’un peu plus dune dizaine de pages sur l’état matériel des forces armées et sur leurs possibilités techniques d’intervention sur les théâtres d’opération (titre de la note : «Materielle Einsatzbereitschaft der Teilstreitkräfte»). La situation est telle que la République Fédérale n’assume plus ses obligations vis-à-vis de l’OTAN !

Chloroformés, en quelque sorte par des rapports précédents optimistes, les membres de la Commission sont tombés de haut : l’équipement, faute d’investissements adéquats, faute de commandes passées à temps, faute de pièces de rechange, suite à un manque de réparations se trouve dans un état tel que les possibilités d’intervention s’en trouvent désormais obérées !

Une situation déplorable : une armée en manque ! – Voici quelques exemples tirés de la note présentée à la Commission de la Défense. Les hélicoptères de la marine sont pour l’essentiel hors d’état d’intervenir, au point qu’on a dû ajouter récemment un bâtiment d’escorte, à un porte hélicoptère qui manquait… d’hélicoptères ! Sur 4 sous-marins, un seul est en état, de même que 7 frégates sur 11, 2 corvettes sur 5. Dans l’armée de terre, 280 chars «Marder» sur 40 et 70 transporteurs de troupe blindés sur 180 sont en état pour intervenir. Dans l’aviation, 24 des 56 avions de transport «Transall» sont hors d’état d’intervenir, e même que 42 sur 109 des avions «Eurofighter» et 38 des 89 avions «Tornados» ! L’aviation ne saurait accepter de nouvelles missions, alors que, par ailleurs plus de 5.000 soldats interviennent, dans le monde, sur divers théâtres d’opération !

La situation a dû reconnaître von der Leyen, à qui on reproche maintenant de n’avoir pas su tirer la sonnette d’alarme, mettra des années avant de se résorber, car elle est la résultante d’une mauvaise gestion basée sur des économies. Elle avance que l’essentiel des moyens a été utilisé dans le passé au profit des opérations extérieures, conduisant à négliger l’état des forces stationnées dans le pays. Elle réclame davantage de moyens : pourtant, le budget allemand de la défense a déjà progressé de 6% en 2013. Elle a reconnu (tout en les minimisant, affirmant qu’en cas de crise, l’Allemagne répondrait présent) les insuffisances allemandes vis-à-vis des obligations nées de l’OTAN. Elle a convoqué les inspecteurs généraux des armées, qu’elle entend désormais rencontrer toutes les 4 semaines. Elle a annoncé quelques mesures immédiates, comme par exemple la location d’avions de transport «A400», en attendant que les avions commandés à Airbus soient livrés, pour remplacer l’avion franco-allemand dont certains exemplaires ont… 50 ans !

«On nous prend pour ce qu’on n’est pas !» – Le constat et la polémique tombent évidemment mal pour une Ministre qui a pris ses fonctions en affirmant qu’elle les placerait sous le signe de la transparence ! Ils tombent mal, aussi, pour une Ministre à qui on prêtait la possibilité de succéder, après 2017, à Angela Merkel ! Alors qu’elle savait ce qu’il en était en réalité, on a fait croire au Parlement que tout ce qui roulait, volait ou nageait était en parfait état pour intervenir. «Nous autres parlementaires, on ne va tout de même pas se faire prendre pour ce qu’on n’est pas !», a lancé Rainer Arnold, responsable de la politique de défense au parti social-démocrate.

Au sein de la grande coalition, où le débat sur les exportations d’armes l’a jusqu’ici emporté sur la réalité, celle-ci, aujourd’hui, s’impose et on se renvoie la balle des responsabilités. Certains à la CDU font remonter l’origine des difficultés actuelles à cette année 2010 où la coalition chrétienne-démocrate/libérale a gelé massivement les commandes de pièces de rechange !

L’industrie de l’armement enfin écoutée ? – L’industrie de l’armement (80.000 salariés) se félicite, elle, d’un débat qu’elle souhaite depuis longtemps alors qu’elle réclamait plus de moyens budgétaires pour la défense. Elle espère que la nouvelle secrétaire d’état -Katrin Suder-qui, venue du privé, a succédé à Stefan Beemelmans, renvoyé en février, sera plus efficace, notamment dans la restructuration du secteur et la gestion des commandes. Son travail -ni celui de sa Ministre- ne sera pas facilité par les divergences existant au sein de la Grande Coaliton : qu’il s’agisse de la politique d’exportations, de production ou de regroupement entre firmes européennes (notamment entre français et allemands). Le vice-chancelier SPD -Sigmar Gabriel- ne sera pas l’obstacle le plus facile à contourner, ni d’ailleurs son collègue CDU, Wolfgang Schäuble, Ministre des Finances. En espérant qu’un jour le secteur de l’armement trouve son expression européenne dans le cadre d’une politique commune de défense : «L’Europe est devant des choix cruciaux. Elle doit avoir une défense, elle ne peut s’en remettre à d’autres. Une étape doit être franchie pour que les efforts soient coordonnés, le fardeau partagé et pour qu’il y ait une industrie européenne de la défense !», a déclaré François Hollande, lors de sa conférence de presse du 18 Septembre.

En attendant; les formateurs allemands et les armes destinées aux peshmergas sont arrivés sur place, au Kurdistan. L’Allemagne veut équiper 10.000 combattants : on sait, maintenant, pourquoi elle ne peut pas participer aux frappes contre le prétendu «Etat Islamique» !

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