Marguerite et Julien : une histoire d’amour hors normes

L'amour ne connaît ni raison, ni standards, ni limites. C'est ce que prouve une nouvelle fois Valérie Donzelli dans son film «Marguerite et Julien».

Marguerite et Julien - un amour impossible et pourtant, si fort... Foto: Distribution

(Nicolas Colle) – C’est avec cette nouvelle histoire d’amour passionnée et interdite entre un frère et une sœur que Valérie Donzelli, originaire de Lorraine, marque son grand retour. Elle signe ici un grand film d’amour romanesque d’une puissance émotionnelle extrême tout en plongeant le spectateur dans une foison de sensations parfois complexes. Eurojournalist(e) a eu le privilège de pouvoir entendre s’exprimer cette cinéaste.

Je crois savoir que ce film est une adaptation d’un scénario, inspiré de l’histoire vraie de Marguerite et Julien de Ravalet vécue à la fin du XVème. François Truffaut devait la mettre en scène il y a très longtemps. Qu’est ce qui vous a donné envie de l’adapter vous-même quand vous l’avez découverte ?

Valérie Donzelli : Quand j’ai lu le scénario de Jean Gruault, j’ai été attirée par la question de l’amour impossible et du traitement de l’amour comme d’une maladie ou d’une fatalité contre laquelle on ne peut pas lutter. Tomber amoureux c’est un peu comme tomber malade, on est dans un état particulier, on parle de symptôme ou de manque, on est dépendant de quelqu’un, un peu comme on le serait d’une drogue. Par ailleurs, ça m’intéressait également de parler, par ce biais là, de la liberté de décider de vivre un amour jusqu’à en mourir.

Il y a un thème qui revient souvent à travers vos films, c’est l’amour fusionnel… Qu’est ce qui vous fascine autant à travers ce sentiment extrême ?

VD : Quand on fait des films, c’est toujours avec une part d’inconscience. Donc je ne sais pas toujours ce que je veux raconter avec mes films, mais je sais que j’ai besoin de les faire. Si je me dirige vers des histoires d’amour fusionnelles, c’est avant tout parce que c’est ce qui me touche car j’ai toujours eu le sentiment que l’amour était quelque chose d’ultime. Une force unique. Donc le fait de traiter de la fusion des âmes et des corps me permet de parler de quelque chose de très puissant émotionnellement. Il faut savoir qu’on ne choisit pas de tomber amoureux de quelqu’un. Au départ c’est quelque chose qu’on subit. Et ici, il s’agit d’un amour interdit, ce qui rend cet amour encore plus puissant car plus excitant.

Il y a plusieurs personnages comme les parents ou l’abbé qui tentent de séparer Marguerite et Julien mais qui ne sont pas de simples obstacles à leur amour… Au contraire, vous posez un regard assez bienveillant sur eux car on comprend qu’ils cherchent à protéger ces enfants ?

VD : C’est toujours important, selon moi, que les personnages soient à leur meilleur. Arnaud Desplechin disait : «Le cinéma, c’est la vie enchantée». Dans le fait de faire des films, ce qui m’intéresse c’est de dire que l’amour existe, qu’il peut y avoir de l’idéal et que les gens ne sont pas forcément complètement mauvais. Je cherche toujours à trouver la part «clair-obscur» de chacun de mes personnages. Par exemple, l’abbé incarné par Sami Frey, a une morale bien définie. Il est très droit, très strict mais quelque part, il a raison. Ce qui est beau dans la rencontre amoureuse, c’est la mixité. Si tous les frères et sœurs de la terre vivaient ce genre d’histoire, l’humanité plongerait vers le chaos. L’abbé veut, certes, séparer ces deux amoureux, mais c’est avant tout pour leur sauver la vie.

Vous mélangez très habilement plusieurs époques et plusieurs univers qui coexistent magnifiquement. Pourquoi ce pari artistique très osé et très risqué ?

VD : C’était simplement pour mieux incarner la légende et revisiter cette histoire à travers la forme d’un conte. D’ailleurs tout au long de la préparation, ce qui nous a guidé moi et mon équipe, c’était une phrase de Jean Cocteau qui disait : «L’histoire est du vrai qu’on déforme, la légende est du faux qu’on incarne». Personnellement, j’étais plus intéressé par l’idée d’incarner la légende plutôt que d’être dans la réalité de l’histoire que j’aurais forcément déformée puisqu’il y en a eu plusieurs versions différentes. Du coup, on ne sait pas vraiment où se trouve la vérité, alors j’ai préféré me pencher sur la légende de ce couple mythique.

Comment avez vous travaillé avec votre équipe artistique pour créer un tel univers ?

VD : J’ai beaucoup échangé avec ma chef-opératrice très en amont car j’avais envie d’un film qui soit un défi visuel, conçu comme un œuvre d’art et qui soit beau graphiquement comme un tableau, avec autant de fond que de formes… J’ai également choisi un chef-décorateur qui avait bossé sur plusieurs films de Jacques Rivette et qui avait beaucoup de «cinéphilie». Ça a été très complexe de trouver le ton général du film car nous n’avions aucune référence. On marchait à vue pour créer un univers, et c’était assez angoissant car je me disais parfois que je pouvais me tromper, mais en même temps j’étais convaincue de ce que je faisais et aujourd’hui, le film est exactement comme je l’avais rêvé. Donc ça a été un travail d’équipe absolument passionnant.

Ce qui est également très plaisant avec ce film, c’est que bien que vous vous inscriviez dans une approche de «film d’auteur» en tentant des choses dans votre mise en scène, vous parvenez à le rendre incroyablement populaire et accessible pour un large public. C’est une démarche importante pour vous de procéder ainsi ?

VD : Je suis très contente que vous me parliez de cela parce que j’avais justement envie de faire un grand film familial et populaire. Même si j’aime le cinéma d’auteur et que j’ai une certaine «cinéphilie», je ne suis pas quelqu’un qui intellectualise le cinéma. J’aime faire des films pour le public en m’inscrivant dans une démarche sensorielle, émotionnelle mais pas intellectuelle. Je ne cherche pas à ce qu’on dise de moi que je suis une grande metteure en scène. Tout ce que je veux, c’est que les gens sortent de la salle en se disant qu’ils ont vu quelque chose qui les a bouleversés, qui leur a fait du bien, au point d’avoir envie d’y retourner. En fait, je fais surtout les films que j’ai envie de voir. C’est mon plaisir de spectatrice qui m’a guidée dans ma filmographie. On me compare souvent à Jacques Demy ou à François Truffaut mais pour ce film, j’ai surtout pensé à Jean-Paul Rappeneau, un cinéaste d’auteur certes, mais qui fait des grands films familiaux et populaires.

Comment en êtes vous arrivée à confier le rôle de Marguerite à Anaïs Demoustier, qui est plus épatante que jamais ?

VD : Quand j’ai découvert le scénario de Gruault, il s’appelait «Julien et Marguerite» mais en le lisant je me suis rendu compte que c’était avant tout l’histoire de Marguerite et je ne pouvais m’empêcher de penser que j’aurais adoré jouer ce personnage si j’avais été plus jeune. Donc je voulais faire ce cadeau à une actrice et ça n’a pas été simple de trouver la perle rare car il fallait que ce soit quelqu’un de passionné, qui respire la vie mais qui ne soit pas dans la gravité. Et Anaïs remplit parfaitement toutes ces conditions, elle est très rayonnante, elle a une fraicheur, elle respire la sainteté. Et en même temps, elle apporte beaucoup de force et de féminisme à ce personnage qui refuse notamment de faire l’amour à quelqu’un qu’elle n’aime pas.

Vous avez collaboré avec Jean Gruault lui-même pour l’adaptation de son scénario original. Avez-vous pu lui montrer le film avant son décès en Juin dernier ?

VD : Oui, il a vu le film tel qu’il a été présenté à Cannes au mois de Mai. Il m’a dit qu’il en était très heureux et que c’était un très bel opéra. J’ai été très affectée par sa mort parce que j’étais devenue très proche de lui. J’allais très souvent à son domicile depuis trois ans, je le tenais au courant de l’avancée du projet et il en était très fier. Je regrette seulement qu’il n’ait pas pu assister à la sortie du film.

Et justement, à propos de Cannes, le film est-il le même aujourd’hui que lorsque vous l’avez présenté lors du Festival ?

VD : Non, mais certaines personnes ont pu voir les deux versions et aucune d’entre elles ne fait la différence. Mais c’est presque le même film, j’ai coupé une scène, j’en ai rajouté une autre que j’avais coupée dans un premier temps, j’ai changé une musique et quelques détails comme ça… Mais il faut savoir qu’à Cannes, je venais de finir le montage et je savais qu’avec du recul, je pourrais encore changer des choses. Ce qui est amusant c’est que Jacques Audiard montait son film («Dheepan» également sélectionné à Cannes) en même temps que moi et dans le même studio de montage. Quand il a fini, il m’a confié qu’il changerait également certaines choses après le festival mais comme il a eu la Palme d’Or, il ne s’est pas senti obligé de le faire. Moi, je n’ai pas eu la Palme d’Or, donc je me suis remise au boulot.

Grand bien vous en a pris, ma chère… Puisse le succès qui vous a manqué à Cannes, vous accompagner dans les salles…

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Marguerite Julien Affiche OK

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