Pologne : Alertes à la bombe

Un climat haineux et menaçant

Un groupie du président Kaczynski. Il porte un chapeau de berger des Tatras Foto: Silas / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Huit locaux du principal parti d’opposition polonais, la Plateforme civique, ont fait l’objet d’alertes à la bombe, le jeudi 24 janvier dernier. A Poznań, Wrocław, Szczecin, Katowice, Cracovie, Białystok, Lublin, Łódź. A Wrocław, la police a aussi dû évacuer les 1300 personnes qui se trouvaient dans les bureaux de la direction régionale (la voïvodie). Ces alertes étaient assorties d’un message d’injures et de menaces : « Aujourd’hui, le siège de votre parti de menteurs va exploser ! Que les flammes de l’Enfer vous consument ! » Un anathème d’inquisiteurs justiciers, en somme.

En Pologne, l’atmosphère est pesante et saturée d’anxiété, et il est assez facile de faire pression sur l’opinion publique avec de tels agissements. Surtout après l’attentat contre le maire de Gdańsk, il y a 2 semaines exactement. Paweł Adamowicz venait de se faire réélire pour la 5e fois ; il était issu de l’opposition libérale. Le meurtrier est un jeune homme, auteur naguère de 4 braquages et qu’on dit atteint de schizophrénie. Aucun rapport avec la violence purement politique ? Les Polonais ne s’y trompent pas, eux qui baignent dans cette ambiance en elle-même génératrice de violence que dispense le parti au pouvoir (PiS, Droit et Justice) et ses alliés objectifs de l’extrême-droite.

Pas seulement objectifs, à vrai dire. Un événement annuel, particulièrement important dans sa valeur symbolique, représente un point nodal autour duquel tournent toute l’évolution et tous les événements politiques : la commémoration de l’Indépendance du pays, en 1918. En 2018, c’était le centenaire : et l’an dernier, il semble que les esprits ultra-nationalistes et identitaires se soient particulièrement échauffés. Mais le défilé n’était pas désapprouvé par le PiS : il était même tacitement, mais très concrètement accepté.

En 2018, la célébration s’est faite de manière différente selon les villes. A Gdańsk, le défilé était plutôt joyeux et musical : la population a défilé en costumes historiques. La ville, certes, est plus libérale que d’autres dans son esprit général et sa culture socio-politique. A Wrocław et à Varsovie en revanche, la manifestation a été une fois de plus une démonstration de force de l’extrême-droite – non pas seulement polonaise, puisqu’un flot brunâtre provenant de toute l’Europe a embourbé la capitale : 200 000 manifestants, venant parfois de France, d’Italie, d’Espagne et bien entendu, de Hongrie (dont le fameux maire du village-au mur-de-barbelé, László Torocskai, ex-Jobbik, fondateur récent d’un nouveau parti fasciste) ont défilé ! Et le PiS s’est fait voler la vedette par les groupes ou groupuscules d’extrême-droite, le mouvement fasciste-catholique Jeunesse pour une Grande Pologne en premier.

Le fait est significatif à plusieurs titres. D’abord, si le parti PiS est plutôt national-conservateur que d’extrême-droite dure, il a fourni toutes les conditions propices à un débordement sur sa droite et apparaît, à cause de l’importance symbolique cette manifestation du 11 novembre, comme une sorte de Jerusalem pour les fascistes de tout le continent. Ensuite, il a permis factuellement cette manifestation : la mairesse d’opposition (Plateforme Civique) de Varsovie, Hanna Gronkiewicz-Waltz, avait interdit la manif ; mais la justice avait cassé l’interdiction le surlendemain…

Et le PiS annonce qu’il organise un défilé sur le même parcours varsovien. Décision finale, le cortège se composera de deux parties, comme les cortèges de gauche en France : le parti au pouvoir devant, l’extrême-droite derrière… Il s’étaient tous là, les nazillons ; et ils étaient plus nombreux que les membres du PiS : les ultra-nationalistes de l’ONR, la Jeunesse pour la Grande Pologne MW), les nationaux-catholiques du Ruch Narodowy  (Mouvement national). Tous euro-sceptiques, bien sûr. Et la partie la plus nombreuse a été celle de l’arrière…

Ambiance délétère donc ; ambiance pourrie dont se nourrissent les lombrics frustrés, prêts à l’ultra-violence, parce que le PiS est poussé sur sa droite par ces groupes qui exercent une assez forte influence sur l’opinion publique, et qu’il n’est nullement prêt à les réprimer dans leurs agissements : on a bien vu cela aussi le 11 novembre dernier. Et parce qu’il entrave le fonctionnement démocratique de la justice polonaise – objet de grandes protestations l’an dernier, mais le PiS n’a reculé que très partiellement et très provisoirement . Une seule chose pourra empêcher sa mainmise compète sur le pouvoir judiciaire : sa défaite aux prochaines élections ! Y compris aux élections européennes de la fi du lois de mai prochain.

Et surtout, il faudra agir à la racine, comme un dentiste, sur les raisons de l’euroscepticisme polonais. Quelles sont ces racines ?   Sans doute sont-elle essentiellement au nombre de trois. Le sentiment de n’être qu’une partie négligeable de l’UE. Leur rapport à la question des migrants, eux qui sont étrangers notamment aux cultures islamiques qui leur sont largement inconnues, et qu’ils ressentent comme fondamentalement étrangères. Et puis : sans doute la Pologne, et avec elle d’autres pays d’Europe centrale (et orientale) ont-ils considéré surtout l’adhésion à l’UE comme un gage de protection, avant toute autre chose – sans nécessairement considérer cette adhésion avec l’enthousiasme culturel de frères retrouvés comme nous, à l’Ouest, le supposions sans trop y réfléchir.

En somme, c’est le sentiment de se croire marginal – à nos yeux d’Européens occidentaux – qui pourrait expliquer le malaise et la montée du populisme depuis l’après-2010. Alors même que la Pologne et la Hongrie, fiefs du populisme et du national-conservatisme, sont entrés dans la modernité, au début des années 2000, grâce aux subventions européennes…

Nous devrions donc impérativement fournir enfin une réflexion consistante sur ce problème et sur les moyens concrets d’y remédier réellement.

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste