Pologne : chut, circulez !

Encore un film-scandale sur l'Eglise catholique polonaise

Madone noire de Wroclaw Foto: Pudelek (Marcin Szala/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – On fête cette année le centenaire de Jean-Paul II, et des élections présidentielles sont en vue, sans doute pour le mois de juillet. Est-ce la raison pour laquelle est sorti, ces jours ci, Le Jeu de cache cache, consacré à la pédophilie dans l’Eglise catholique polonaise ? Non, sans doute. Le sujet est explosif dans ce pays où cette Eglise a joué un rôle social majeur pendant très longtemps, mais où les langues se délient (enfin!) sur certaines pratiques et certains silences scandaleux dans la hiérarchie. Un film, deux films, trois films, quatre films : les choses vont-elles enfin bouger ?

Jeu de cache cache (Zabawa w chowanego), le documentaire de Marek et Tomasz Sekielski, est trépidant, un peu trop speed. On jurerait que les réalisateurs veulent absolument se démarquer de la vieille société pour entrer dans les clous de la nouvelle, fébrile et branchée. Bon, bon… Le film est disponible sur youtube (où Tomasz Sekielski dirige sa propre chaîne) depuis hier soir. Venu après Klerk de Wojciech Smarzowski, qui a causé une véritable commotion sociale dans ce pays où par le poids du clergé, les langues commençaient seulement à se mouvoir dans une activité autre que la mastication, Jeu de cache cache fait parler des victimes et met directement en accusation certaines autorités ecclésiastiques, protectrices  de prêtres qui laissaient venir à eux trop aisément les petits enfants sans partager avec eux le Royaume des Cieux.

Les frère Sekielski ont publié l’an dernier Ne le dites à personne (Tylko nie mów nikomu), un docu sur le même sujet qui a obtenu un prix d’Amnesty International. Cache cache est différent : il montre les points de contact entre un pouvoir politique complaisant et un système ecclésial bien rodé à faire glisser les prêtres pédophiles d’une paroisse à une autre sans que jamais les coupables, ceux qui détruisent la vie de jeunes enfants, ne soient réellement inquiétés. Et en effet, le parquet traite ces prêtres de manière préférentielle, bien différemment de sa manière de procéder avec les citoyens ordinaires. Curieusement, d’ailleurs, ces évêques ont accès aux actes de procédures et ce, dès les premiers pas des enquêtes qui les concernent…

Depuis 1989, tout est demeuré semblable, de gouvernement à gouvernement ; aucun n’ose encore s’attaquer au problème des prérogatives injustes, de l’opacité et de la criminalité pédophile de l’institution Eglise. Une première étape serait, comme le pointent bien les Sekielski dans une interview à la Gazeta https://wyborcza.pl/magazyn/, de séparer nettement les fonctions de procureur général et de ministre de la Justice. Qui, quel gouvernement, osera franchir ce pas ? Pour le moment, on attend la création d’une Commission d’État, proposée depuis septembre dernier… Rien. A cause de la pandémie ?

Pourtant, le précédent film des Sekielski ainsi que Klerk ont causé un véritable séisme dans la société polonaise. Tous les politiciens de premier et de second rang ou presque se sont manifestés, répandus en proclamations du genre : « Personne ne sortira impuni ! ». Mais rien n’a été fait.

Dans Jeu de cache cache, on voit essentiellement comment un évêque couvre plusieurs prêtres de son diocèse. Mais quelque chose change : c’est l’inertie des médias et/ou leur complaisance, qui semblaient pourtant indécrottables jusque là, la presse et la TV (largement aux mains du PiS) préférant généralement critiquer bassement les travail des députés de l’opposition progressiste. Mais en réalité, que peut-on espérer ? Pas grand-chose d’autre que des mesures que prendrait le Pape himself, dans toute sa majesté, contre ce Mgr Janiak, notamment…

Pourquoi maintenant, ce glissement de terrain pour l’Eglise catholique polonaise ? La figure de Jean-Paul II, dont on commémore le centenaire, joue ici un rôle essentiel ; elle continue à à peser de tout son poids sur les représentations et les mentalités, empêchant l’ évolution vers une société plus ouverte. Pendant son existence de Pape, l’Église de Pologne était intouchable ; toute critique était quasi impossible, du moins, aucune n’était jamais reçue. Mais de fait, l’institution Eglise joue beaucoup moins qu’en 2005 son rôle ancien de contrepoids social et de facteur d’équilibre politique, et elle perd cette insularité auto-représentée qui la rend en apparence invulnérable.

Les temps sont mûrs pour de vrais changements. Ou presque. Encore un peu de patience.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste