Populisme : l’exemple hongrois

Analyser et défaire le populisme dans toute l’Europe

Le Crapaud (Bufo bufo) rappelle irrésistiblement telle ou telle figure du populisme européen. Respect cependant à notre Frère Crapaud Foto: Agrillo Mario / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – La Hongrie, la Pologne, l’Italie nous semblent les meilleurs exemples de gouvernements populistes dont l’accession au pouvoir, la démagogie spécifique et les pratiques économiques ondoyantes, cahotiques et contradictoires illustrent à à merveille les impasses de ce trend illusoire et mensonger.

Prenons la Hongrie, pour commencer, avant d’adopter une perspective plus large ces prochaines semaines. Nos oreilles tintent encore d’un discours de Viktor Orbán, en 2015 : « Nous n’avons pas aujourd’hui de débats consacrés à des mesures politiques spécifiques, les solutions sont évidentes, nous les avons sous les yeux. (…) Chères Mesdames et chers Messieurs, nous devons comprendre qu’aucune théorie n’est nécessaire à la reconstruction de notre économie : il suffit et il est temps maintenant, de nous retrousser toutes nos manches. »

Très troublant : on aura reconnu là des propos entendus aussi en France depuis 12 semaines… Oui, la représentation du monde, de la politique et de l’économie est celle là même qui occupe le haut (ou le bas?) du pavé français depuis le 17 novembre. Comment peut-on la caractériser ? On est d’abord frappé par une belle assurance, une assurance délirante : pas besoin de débat ! Je connais les solutions ! Elles crèvent les yeux ! Mais pourquoi les populistes, Orbán en l’occurrence, sont-ils si assurés de détenir la vérité ?

La caractéristique majeure du populisme, ce qui le distingue réellement de toutes les autres idéologies et de tous les courants politiques, c’est l’assurance d’être tout le peuple : nous sommes le peuple ! Ce qui signifie, plus clairement : c’est NOUS qui sommes le peuple. Et cela implique, bien évidemment, une restriction du champ politique à tout ce qui n’est pas … NOUS.

Dans le populisme se tapit le mythe d’une volonté populaire immanente, spontanée et infaillible. Débarrassons nous des élites, qui ont confisqué le pouvoir à leur profit, et qui prétendent nous représenter alors qu’elles ne représentent qu’elles-mêmes : et voilà le problème résolu ! Nous, étant le peuple, nous le représentons donc nécessairement : où est le problème ?,clament les populistes dans toute l’Europe, plus ou moins explicitement. Les populistes ont une conception « impérative » de la représentation : c’est-à-dire qu’ils s’opposent à tout pluralisme, puisque le peuple est UN. Reste comme chant politique : la discréditation de toute opposition, le clientélisme de masse (ce que pratique par exemple en France le RN depuis belle lurette), et un critère essentiellement pseudo-moral : les autres sont même pas gentils, nous, c’est nous qu’on est gentil.

Mais à partir de fondements aussi flous, quelle est la politique économique praticable ? Retournons à la Hongrie de Viktor Orbán. Un paradis pour le « peuple » ? Assurément non. Orbán pratique en réalité l’ultra-libéralisme sans aucun état d’âme.

La Hongrie sort (?) tout juste d’une grève d’une semaine dirigée contre la loi « esclavagiste », qui voulait permettre aux employeurs de demander jusqu’à 400 heures supp’ par an – payables jusqu’ à 3 ans plus tard ! Mais les Hongrois travaillent déjà trop, beaucoup trop. Conséquences : le surmenage, la dissolution des familles, les problèmes de santé, très répandus, les dépressions. Et 80 % au moins des Hongrois s’opposent à cette loi : le peuple, il est là ! En réalité, la Hongrie souffre d’un problème de main d’œuvre – cela d’autant plus que les travailleurs sont partis et partent en masse vers l’Autriche, l’Allemagne et la Grande-Bretagne (au moins 350 000 Hongrois travaillent dans ces 3 pays). Il faut tenir compte aussi des 200 000 personnes qui travaillent dans le « Programme de travail public », où elles gagnent des clopinettes, et … 175 000 personnes, notamment dans le bâtiment, qui sont de fait subventionnés par les fonds européens… Et la Hongrie actuelle ne tiendrait pas debout sans les fonds de l’Union Européenne, on ne se lassera pas de le répéter.

 

Les « intérêts du peuple », cela consiste-t-il pour lui à dépendre complètement de 3 firmes étrangères ? En effet,ce sont 3 entreprises allemandes de voitures qui donnent de l’emploi à la main d’œuvre… trop maigre. La motivation de la loi « esclavagiste », c’est essentiellement cela : la crainte que ces 3 firmes ne manquent d’huile de coude. Il s’agit d’Audi à Györ, de Mercedes à Kecskemét, et de BMW à Debrecen. Manque de main d’œuvre donc, malgré la présence nombreuse de Serbes (400 à Mercedes), de Roumains et d’Ukrainiens. Il faut donc faire aussi des concessions importantes aux patrons allemands (taxes inexistantes, compromis concernant le droit de travail…). Et les Hongrois, à commencer par les syndicats, pensent que la loi « esclavagiste » est un petit, et même un gros cadeau pour l’usine BMW qui s’installe à Debrecen, dans l’Est du pays : on subodore que gouvernement et patrons ont conclu ensemble un traité discret. Les intérêts du peuple travailleur, toujours.

Les grèves risquent de s’étendre et de se multiplier dans le pays ; d’autant plus que les ouvriers de l’industrie automobile sont syndiqués à 50 %. Les syndiqués sont soutenus par les syndicats allemands, puisque ceux ci redoutent bien évidemment que les pratiques sociales détestables du gouvernement Orbán n’occasionnent d’autres délocalisations… D’autant plus que les salaires hongrois sont 3 fois plus bas qu’en Allemagne.

Orbán a fait des cadeaux considérables aux patrons, et sans doute n’y a-t-il jamais eu en Hongrie de gouvernement aussi généreux envers les classes supérieures. Corollaire : une absence cruelle de fonds pour l’éducation, la formation, l’enseignement et la santé publique. Il fallait « baisser les taxes, et après, il ne restait plus assez d’argent », comme l’a dit sans ambages un ministre, Balogh Zoltán. Orbán le populiste aime son peuple, décidément.

En définitive, comment remédier à cette plaie européenne qu’est devenu le populisme ? En allant voter aux Européennes du 26 Mars, assurément. Et en espérant que la gauche se réveillera réellement à temps. Orbán n’est pas si populaire que cela dans son pays : son succès tient à ce que la gauche s’est écroulée, en 2007, à cause surtout de déclarations inconsidérées et d’irréalisme. Ce n’est pas irrémédiable. D’autant plus que les jeunes Hongrois sont incomparablement moins vissés sur la consommation de masse que leurs parents, qui sortaient d’un demi-siècle de soviétisme. Beaucoup de jeunes participent aux manifestations, de plus en plus nombreuses – et pour ce qui est des ouvriers et des employés, aux grèves. De très nombreux jeunes Hongrois sont activement engagés dans les luttes sociales et environnementales.

Dans une perspective plus globalement européenne, il conviendrait de réexaminer l’une des incriminations des partis populistes : à savoir la critique portée aux modes de représentation. Non pas pour rejeter en bloc tous nos représentants démocratiquement élus, comme ils prétendent le faire, ni détruire les institutions comme ils le clament dans les rues. Mais en améliorant de fait la visibilité, et le caractère démocratique, de la représentation : par exemple, en élisant au suffrage universel la Commission européenne – ou en la supprimant ! – ou bien en donnant beaucoup plus de pouvoir au Parlement qu’il n’en a actuellement.

Tout cela urge, en tout cas, et nous devons agir pour ne pas nous retrouver dans une situation réellement dramatique, voire catastrophique, tant sur le plan économique que politique, et tout simplement pour ce qui concerne la paix dans nos société et entre elles.

 

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