Slovaquie : la mort du journaliste au ciné

Un film sur l’assassinat du journaliste Ján Kuciak fait un tabac

Nulle intention ici de discriminer le Porc, mais seulement d'illustrer Svina Foto: Michal Jakubsky/Wikimedia Commons/CC-BY-SA/2.0Unp

(Marc Chaudeur) – L’assassinat du journaliste Ján Kuciak et de sa compagne Martina, tous deux âgés de 27 ans, en février 2018, a produit un énorme scandale, et par là, a vraiment changé quelque chose en Slovaquie. La politique du pays en a été toute remuée ; et un an plus tard, une candidate écolo-progressiste, Zuzana Čaputava, a été élue présidente de la République. Un ancien collègue de Ján Kuciak, Arpád Soltész, a écrit un roman d’investigation sur cette affaire. Et ce roman est devenu un film, sorti en salle le 6 février dernier à Bratislava et dans toutes les villes slovaques. Qui aurait pu espérer cela voici dix ans ? Les vents du changement.

Sviňa ou The Scumbag (en slovaque, sviňa signifie porc, salaud, saligaud, gros dégueu), comme le roman, est violent, plein de sexe et de fureur, de coups tordus et de désespoir. En somme, un film trashy, parfois insupportable. Mais on pense à la réponse qu’avait faite Picasso à un officier nazi venu l’interroger devant son tableau Guernica : « C’est vous qui avez fait cela ? – Non, c’est vous ! ». Oui, la réalité est trashy, et non pas seulement en Slovaquie.

L’affaire Kuciak, que roman et film retracent fidèlement (à ce qu’on a pu juger au vu d’un extrait) s’est passée en 2018. Ján Kuciak, depuis quelque temps, enquêtait sur les imbrications entre le crime organisé et la politique de son pays. Un excellent travail, qui a mis en évidence les liens (dont nous avons abondamment parlé ici) entre Robert Fico, le dirigeant du SMER, le parti pseudo social-démocrate au pouvoir qui hérite largement (dans tous les sens du mot) de la nomenklatura et des finances de l’époque communiste, et la mafia. La mafia au sens strict, ici la ‘Ndrangheta calabraise installée dans le pays, et ses ramifications slovaques.

Ján Kuciak a mis en cause, nommément et preuves à l’appui, un homme d’affaires véreux, Marián Kočner, en relations très, très étroites avec Fico. Et il s’est fait assassiner peu après devant sa maison… Mais ensuite, indignation générale, et quelques mois plus tard, démission de plusieurs ministres. Ensuite, Kočner se fait condamner, lui et ses exécutants. Et puis Zuzana Čaputová est élue.

Le roman d’investigation d’Arpád Soltész, suivi de son film, paraissent. Et Soltész a fondé un groupe d’investigation slovaque qui porte le nom de Ján Kuciak ; ce groupe est le ressortissant slovaque de l’ OCCRP, qui accomplit un travail magnifique dans le monde entier.

Le film Sviňa, très fidèle à l’écœurante réalité politique de ces dernières années, fait un tabac retentissant dans 80 salles : l’œuvre réalisée par Mariana Čengel Solčanská et Rudolf Biermann a été vue par 98 000 personnes dès le week end de sa sortie, le 6 février ! Et trois semaines plus tard, elle a engrangé 2 millions d’euros. Les spectateurs en ressortent mieux informés, dégoûtés, tristes,révoltés, et pour la plupart, avec la ferme résolution que cela change dans leur pays.

Et bientôt, ce film sera suivi d’une autre adaptation d’un roman de Soltész ! Car Sviňa a un précédent. Soltész s’est inspiré de sa propre histoire pour composer un roman publié en français en 2018, Il était une fois dans l’Est. Titre original : Mäso, c’est-à-dire : Viande.

Très approprié, ce titre. Voici quelques années, à 31 ans, Soltész fait la planque devant une entreprise de boucherie sur laquelle il a reçu des tuyaux. Il y passe une nuit toute entière. Bredouille : rien à voir. Mais le lendemain soir, au restaurant avec sa famille, il se fait proprement tabasser, d’une manière très pro. Résultat de son enquête ultérieure : entrepôt et massacreur pro appartiennent aux SIS, les services secrets slovaques. Mafia, SIS et SMER : tous de mèche ; et comment !

Mais Mäso articule avec cette histoire une histoire de prostitution, de viol et de… SIS. Avec de superbes héros : Nika l’auto-stoppeuse, des flics vertueux contre mafio-SIS-SMER, etc.

Sviňa et Il était une fois dans l’Est s’inspirent tous deux très directement de l’actualité la plus crasse, et leurs développements sont habiles et palpitants. Nous attendons avec impatience le film qui, l’an prochain, sera tiré du second.

En attendant, la lecture du roman s’impose : Il était une fois dans l’Est, Arpad Soltész, sept. 2019, Editions Agullo, 384 pages, 22 euros (traduit par Barbora Faure).

 

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