Regard d’un Strasbourgeois sur ses pistes cyclables

Circuler à vélo dans la fière capitale alsacienne, c'est se poser la question : à quoi servent les pistes cyclables ?

Cycliste strasbourgeois confronté à une situation imprévue Foto: Rama / Wikimédia Commons / CeCILL

(MC) – En réalité, les pistes cyclables de cette ville servent à bien autre chose qu’à glisser tranquillement sur la chaussée avec son deux-roues en fredonnant le dernier tube d’Isabelle Grussenmeyer. Les pistes cyclables strasbourgeoises servent de lieux de conversation ; on aime à s’y camper solidement pour entamer des discussions sur la dernière goutte de pluie, le cours du Bäckeoffe à Wall Street ou la longueur de la dernière robe de Fabienne Keller (celle à motifs empruntés aux aborigènes d’Australie). On aime à y prolonger ces discussions par un pique-nique sur une table de camping, surtout le soir après 18 heures. Réplique cinglante et très latine au cycliste qui protesterait : « Mais il vous reste bien assez de place pour rouler ! » (entendue réellement, je vous assure, des dizaines de fois).

La piste cyclable est aussi le meilleur endroit pour s’embrasser. Comme c’est excitant de s’embrasser avec passion exactement sur le petit logo blanc qui indique qu’on se trouve sur un endroit réservé à la circulation des vélos !

A certains endroits, on regroupe amoureusement piétons et cyclistes : aucune délimitation ne sépare le domaine des uns et celui des autres. Or, pendant l’année scolaire, quelques rues servent de niches d’essaimage pour les lycéens qui fusionnent en grappes et se perdent en effusions éperdues, de préférence au beau milieu du trottoir. Comme elles sont émouvantes, les amours indifférenciées de la première jeunesse…

La piste cyclable sert aussi de ring : de jeunes rappeurs, casquette à l’envers et haleine botanique, s’essaient aux prises de kung fu admirées la veille lors d’une soirée vintage Bruce Lee. Un attroupement enthousiaste et assourdissant se forme alors autour d’eux. Le pauvre cycliste change alors de pignon pour éviter les gnons ; il se transforme ainsi en équilibriste.

Le fameux boul’Victoire, notamment, alias Niklausstàde, pose un problème philosophique intéressant. Faute de démarcation, cyclistes, trottinettistes, jeunes adeptes du tricycle, vieux adeptes de la chaise roulante, clowns sur leurs mono-roues, écrivain aux grandes moustaches blondes charriant de monstrueuses bottes de poireaux dans son panier, schizophrène tout de noir vêtu insultant les passants à pleine voix, le professeur Alfred Wahl ricanant, le dominicain Vallejo très très distrait rêvant aux Albigeois, SDF marseillais et polonais sur orbite… Tout ce petit monde sur roues de la fière capitale rhénane est contraint de se mêler au petit monde fourmillant des piétons citadins.

Mais comment font-ils ?

Eh bien, ils font, comme les immenses foules indiennes ou chinoises. Ils font, et pas si mal, puisque les accidents sont étonnamment rares dans ce capharnaüm plus est-asiatique que biblique. Certes, les insultes en alsacien, essentiellement centrées sur des connaissances anatomiques précises, fusent en tous sens ; l’irritation est à son comble, les gnons et les horions pleuvent, la Nef des Fous tangue et roule en tous sens . Mais l’ensemble fonctionne.

On n’a pas assez remarqué certain phénomène : le phénomène des cyclistes-tournesols. Très dangereux ! Les non-cyclistes ne s’aperçoivent guère que nombre de vélocipédistes ne sortent leur deux-roues que le dimanche, et souvent à la belle saison seulement. Ces gens là roulent souvent très mal : ils sont les chauffards du vélo. Ils donnent souvent l’impression d’avoir abusé du riesling avant d’avoir enfourché leur destrier. Méfiance, Méfiance ! On les reconnait très vite et de très loin, heureusement : quand ils zigzaguent de droite à gauche et inversement, quand ils se hèlent en gesticulant d’un rivage à l’autre, quand ils jouent à Space Oddity, quand ils frôlent les piétons et brûlent tous les feux, comme aveugles, comme s’ils étaient possédés par l’ergot de seigle. Or, rouler à vélo s’apprend, comme toute chose, comme l’amour ou le kite-surf.

Pour ce qui concerne un endroit aussi terrifiant que le boul’Victoire, alias Niklausstàde, nous suggérons deux règles à suivre – avec souplesse, n’est-ce pas !

La première, c’est de rouler à droite ! A droite, à droite !!, ne cessons-nous de beugler quand nous roulons sur cette artère infernale. Et rouler à droite résout au moins la moitié des problèmes que pose cette Via Mala new style. Piétons et cyclistes, oui, se doivent de se ranger à droite. Cela suppose d’appliquer une règle déjà exposée dans la République de Platon. Une règle antidémocratique, mais efficace en l’occurrence : celle du chacun à sa place.

Et puis, enfin, penser que l’attention doit être sans cesse éveillée. Et ainsi aborder avec la plus extrême prudence tout rapprochement avec un automobiliste ; éviter tout risque de promiscuité avec un quelconque représentant de cette espèce carnassière et furibarde. Un bon automobiliste est un automobiliste, non pas mort, soyons charitable, mais un automobiliste éloigné. Le plus loin possible.

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