Renouvellement outre-Rhin : quand le dégagisme gagne l’Allemagne
La situation politique n'est pas seulement chaotique en France – l'Allemagne aussi connaît un chamboulement profond de son paysage politique.
(Par Alain Howiller) – Dans un style auquel elle s’est toujours refusée jusqu’ici, Angela Merkel a inscrit ses pas dans ceux… d’Emmanuel Macron. S’en prenant aux députés du parti d’extrême droite AfD, elle a lancé : « A ceux qui pensent qu’ils peuvent tout régler seuls et ne pensent qu’à eux, je dis que c’est du nationalisme pur. Le patriotisme, c’est quand on rapporte aux autres dans l’intérêt même des Allemands pour accepter des situations gagnantes/gagnantes ! » au moment où un mémoire interne (!) met en garde l’AfD contre les risques d’investigations (décision en Décembre ?) que pourrait lancer « l’Office Fédéral de Protection de la Constitution » (« Bundesamt für Verfassungschutz ») contre le parti d’extrême droite !
La chancelière s’était déjà plainte de la dégradation du climat politique et du niveau auquel était tombé le débat politique pendant les campagnes électorales, sans compter les manifestations organisées par l’extrême-droite dans des villes comme Chemnitz ! Elle a eu le courage de défendre, une fois de plus, sa politique migratoire dans cette ville de Saxe où l’extrême-droite organise depuis des mois des manifestations xénophobes contre lesquelles Angela Merkel s’est dressée sur place après avoir – malheureusement – attendu…quatre mois pour s’y rendre ! La « République de Berlin », comme l’appelait le politologue Alfred Grosser, a bien changé depuis qu’elle a quitté Bonn, sur ces bords du Rhin où l’après guerre avait essayé de la confiner.
Situation catastrophique pour le SPD ! – Depuis les élections d’octobre 2017 qui ont vu la montée de l’AfD (Alternative für Deutschland : 12 % des suffrages obtenus) et qui ont forcé Angela Merkel à négocier près de 6 mois durant la reconduction d’une grande coalition (Groko), le climat politique se dégrade et les trois partenaires (CDU/CSU/SPD) qui dirigent le pays ont vu se lever les vents mauvais de la contestation, au point qu’on s’interroge quotidiennement sur la durée de l’alliance au pouvoir ! La coalition tiendra-t-elle jusqu’à la fin 2019, date-butoir à laquelle les partenaires avaient prévu de faire un bilan avant de poursuivre (ou non) leur coopération ? En attendant, les sondages (confirmés sur le terrain par le résultat des élections en Bavière et en Hesse) mettent en évidence les mauvais résultats qu’obtiendrait le parti démocrate-chrétien (27% d’intentions de vote contre 32,9 % de votes obtenus en 2017), la situation catastrophique du parti social-démocrate (14% d’intentions de vote, contre 20,5% de voix obtenues en 2017), la progression spectaculaire du parti des « Verts » (22% d’intentions de vote contre 8,9% de voix obtenues), la progression de l’AfD (14% d’intentions de vote contre 12% recueillis en 2017) qui se situe ainsi au même niveau que… le SPD !
Le résultat des récentes élections régionales et les sondages ont jeté le trouble vis-à-vis de dirigeants de plus en plus contestés. Dès le début de l’été, le fidèle Volker Kauder, un proche de la chancelière, a été démissionné de la présidence de la fraction CDU/CSU du Bundestag : il présidait le groupe pendant 13 ans et son successeur Ralph Brinkhaus ne passe pas pour un partisan d’Angela Merkel ! Ce remplacement inaugurait en quelques sorte une forme de « dégagisme » à la… française. Contestée dans son propre parti, Angela Merkel annonçait qu’elle ne briguerait plus la présidence de la CDU qui se réunit en congrès les 7 et 8 Décembre à Hambourg. Elle qui estimait que les postes de président du parti le plus représenté et celui de chancelière étaient liés, affirme qu’elle poursuivra son mandat de chancelière jusqu’au bout, même si elle est remplacée à la tête de la CDU.
Trois successeurs en quête de poste. – Pourra-t-elle tenir cet engagement ? Cela dépendra sans doute de la volonté du SPD qui s’interroge, cela dépendra aussi de la personnalité du successeur à la tête du parti ! Ils sont trois à vouloir assumer la succession : Annegret Kramp-Karrenbauer (une fidèle de Merkel), actuelle secrétaire générale de la CDU; elle a été Présidente du Land de Sarre et a reçu, l’année dernière à Baden Baden, le Prix franco-allemand « Coeur de l’Europe en or » ; Friedrich Merz, qui a été président du groupe de la CDU au Bundestag mais qui avait quitté la politique à la suite d’un différend avec Merkel, et, troisième candidat, Jens Spahn, l’actuel Ministre fédéral de la Santé. Ils veulent tous les trois réformer le parti. Pour l’heure, c’est Merz qui mène d’une (courte) tête, mais la secrétaire générale de la CDU remonte à toute vitesse près des déclarations hasardeuses du premier ! Qui gagnera cette compétition qui devrait (si la tradition perdure) ouvrir la porte de la chancellerie ?
En Bavière, Horst Seehofer, qui avait mené la campagne désastreuse de la CSU dans son Land, après avoir essayé de résister à ses opposants, a annoncé qu’il renoncerait à la présidence de la CSU lors d’un congrès extraordinaire réuni le 19 Janvier. Il compte rester Ministre Fédéral de l’Intérieur : le pourra-t-il à moyen (voire même à court) terme ? C’est Markus Söder qui a retrouvé son poste de Ministre-Président de la Bavière grâce à une coalition avec les « Freie Wähler » (dont les 11,6% de voix obtenues se sont ajoutées aux 37,2% de la CSU), est candidat à la succession de Seehofer à la tête du parti démocrate-chrétien bavarois. S’ajoutent à ces trois changements, un quatrième possible : président du Land de Hesse dirigé depuis 2013 par une coalition CDU/Verts, Volker Bouffier (CDU) a engagé des négociations avec ses partenaires « Verts » (deuxième parti du Land avec 26% des voix, de peu devant le SPD) : il espère aboutir à un nouveau contrat de coalition avant Noël ! Une surprise n’est pas totalement à exclure sous la forme d’une coalition CDU/SPD ou SPD/Verts/parti libéral FDP.
Un nouveau Traité franco-allemand en Janvier ? – Du côté de la gauche, alors, que le SPD s’interroge sur le moment où il va lâcher la Groko, la secrétaire générale du parti Andrea Nahles est -elle aussi- sur la sellette : elle est accusée d’être responsable des mauvais scores obtenus lors des élections en Bavière et en Hesse et d’être à l’origine des mauvais sondages qui circulent actuellement (14% dans les intentions de vote derrière la CDU créditée de 27%, les Verts qui obtiendraient 22% des voix en cas d’élections générales et l’AfD estimée à 16% !). En outre, on lui reproche de n’avoir pas quitté la Groko. Dans l’ombre se profile à nouveau la silhouette de Martin Schulz amené à quitter la direction du parti après les élections de 2017. Nahles pourra-t-elle se maintenir à son poste ? « La gauche est trop faible », avait commenté Sahra Wagenknecht, une des dirigeantes du parti d’extrême gauche « Die Linke », en lançant son mouvement « Aufstehen » (debout) qui voudrait offrir une alternative de gauche au gouvernement en faisant coopérer Die Linke, les Verts et… le SPD. Le pari de cette ancienne communiste, membre du SED est-allemand, épouse d’Oskar Lafontaine, ancien Président SPD de Sarre, maire de Sarrebruck et co-cofondateur de « Die Linke » de Sarre, aura-il des chances de se concrétiser ? Rares sont ceux qui y croient, même si Wagenknecht (qu’on appelle parfois… la Melenchon allemande !) affirme avoir déjà avoir prés de 90.000 sympathisants sur les réseaux sociaux.
Au moment où l’économie allemande donne des signes d’essoufflement (léger tassement du PIB, régression dans le classement de la compétitivité mondiale), le monde politique d’Outre-Rhin connaît un trouble dont l’Europe (et notamment la France qui voudrait signer, en Janvier, un nouveau Traité de l’Elysée) se serait bien passé. Mais, peut-être, comme disait Angela Merkel en annonçant sa décision de ne plus briguer la présidence de la CDU « qu’il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre ! »
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