Révolution à Berlin…

… quand la politique déclenche le changement !

Le Reichstag à Berlin - tout un symbole pour la "République de Weimar". Foto: Marcus Vollmer / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – C’était le 20 Juin 1991 : il y a un peu plus de 28 ans. Un anniversaire oublié – le Bundestag (338 voix favorables) décidait de choisir Berlin comme capitale de la République Fédérale d’Allemagne préférée à Bonn (320 votes favorables au maintien). Un anniversaire oublié, comme ont failli être oubliés les crédits nécessaires à la commémoration à l’automne du… 30ème anniversaire de la réunification prévue à l’automne ! Le Ministère de l’Intérieur, des Travaux Publics et de la…Patrie a pu rattraper in extremis un oubli qui lui était imputable.

Le transfert des bords du Rhin vers les rives de la Spree a donné consistance à l’idée défendue notamment par le politologue Alfred Grosser(1), qu’une dynamique « République de Berlin » allait succéder à la provinciale et quiète « République de Bonn ». A analyser la situation politique et économique de la République Fédérale, un grand nombre d’observateurs ne se feront pas faute de se demander si le train dont Alfred Grosser avait annoncé le démarrage, ne s’était pas arrêté, un temps, pour jouir du paysage avant de démarrer cette fois pour de bon !

Economie : la fin de l’Ecole de Fribourg - Economiquement, l’Allemagne doute et cherche de nouveaux circuits susceptibles de relancer -ou de remplacer- les idées libérales (« l’ordolibéralisme » cher à l’après-guerre de Ludwig Erhard) dues à l’école de Fribourg. Politiquement, elle semble, enfin, ingérer le choc de la réunification et s’ouvrir, contrainte et forcée, à un vent venu de l’Est ! L’alternance à l’autrichienne, entre conservateurs et sociaux-démocrates, seuls, alliés ou en pivot à trois, semble devenir très aléatoire, de nouveaux courants émergent et des incertitudes se cultivent. Le résultat des élections européennes a été un révélateur avec la régression des partis dits populaires (CDU, CSU, SPD), la montée des Verts, la stabilité « positive » de l’AfD (avec ses progrès à l’Est, le retour (timide) du FDP. Avec quelques retournements plus ou moins spectaculaires tels que par exemple pour la première fois en 70 ans « une » maire CDU à Sarrebruck, le candidat CDU en tête dans le fief traditionnel SPD/Verts à Brême, les « Verts » gagnent les élections locales (Bezirkswahlen) à Hambourg, l’AfD est en tête aux élections européennes dans les régions de Brandebourg et Saxe dont on renouvellera les parlements à l’automne, en Thuringe où on vote en octobre, le parti d’extrême droite se place juste derrière la CDU !

Si, pour reprendre les termes utilisés par les sondeurs, il y avait « des élections au Bundestag Dimanche prochain », la CDU/CSU bénéficierait, selon les instituts de sondage, entre 22 et 29% des intentions de vote (contre 32,9% de voix obtenues aux élections de 2017), les « Verts » recueilleraient entre 25 et 27%, l’AfD entre 12 et 14%, le SPD entre 12 et 14%, Die Linke entre 12 et 14%, le FDP entre 7 et 8%. Pour l’Institut Forsa et pour un sondage réalisé pour Bild am Sonntag, les « Verts » obtiendraient 27% contre 24% pour la CDU (!), 13% pour l’AfD et 11% pour le SPD. Ce dernier est relégué à la 4ème place dans le choix des électeurs, la CDU passerait en seconde position devant… l’AfD !

Quand la CDU et le SPD paient le prix fort de leur politique. – Tant la CDU que le SPD paient au prix fort la politique de la Groko : selon les sondages, 72% des électeurs (+10% en un mois !) ne sont pas satisfaits de la politique menée par le gouvernement, seuls 28% se déclarent satisfaits. Qui, avant l’élection au Parlement Européen véritable signal d’alarme, aurait cru que les deux piliers de la République de Berlin – les Chrétiens-Démocrates et les Sociaux-Démocrates- seraient à ce point victimes de dérapages… incontrôlés qui pourraient conduire à rebattre les cartes distribuées par l’après-guerre ! Du coup, ça frémit fort dans les rangs : AKK, qui d’une gaffe à une autre ne s’avère pas être la bonne candidate espérée, pourra-t-elle se présenter à la succession d’Angela Merkel ? Un discret putsch engagé dans les rangs de la CDU pourrait faire désigner la candidature à la chancellerie par une sorte de « primaire » à la française. Cela signifiera-t-il un retour de Friedrich Merz, le candidat malheureux battu de (très) peu par AKK à la tête de la CDU ?

Du côté du SPD, la démission d’Andrea Nahles de son poste de secrétaire générale a ouvert les enchères (mais il y a peu de candidats !) pour la désignation des futurs « co-dirigeants » du SPD. La décision sera prise en décembre. Les dirigeants désignés (vraisemblablement un attelage homme/femme) conduiront la renaissance du parti dans l’espoir d’un redressement lors des compétitions électorales à venir. Notons au passage que 69% des Allemands ne croient pas que le SPD retrouvera rapidement la confiance des électeurs ! Cela dépendra plus des programmes que de la personnalité des futurs dirigeants : parmi ceux-ci, on cite Gesine Schwan, ex-candidate malheureuse à la présidence de la République, ex-présidente de l’Université Humboldt Viadrina de Francfort sur Oder, Martin Schulz, ancien président du Parlement Européen, ou aussi Kevin Kuhnert, Président actuel des « Jeunes Socialistes – Jusos ». La liste n’est pas close, mais force est de constater que les candidats… ne se bousculent pas au portillon !

AfD et Die Linke : un poids croisé ! – Dans les deux camps qui redoutent le résultat des élections de Septembre/Octobre en Brandebourg, Saxe et Thuringe, trois régions où l’AfD cumule des pôles-positions, on ne peut ignorer la percée des « Verts » avec lesquels il faudra envisager des alliances au sortir de la « GroKo ». Un sondage est révélateur pour la CDU : si les chancelier(e)s étaient élus directement, 51% des électeurs voteraient en faveur de Robert Habeck, le patron du parti écologiste contre 24% en faveur d’AKK ! Les écologistes ne s’en cachent plus : ils veulent arriver (ou participer) au pouvoir. Ils présenteront leur propre candidat à la chancellerie et participeront aux alliances nécessaires – à droite ou à gauche – pour participer au gouvernement après la… « Groko » et les élections prévues normalement en 2021. Ils ont prévenu qu’ils ne feront en aucun cas alliance avec un parti qui aurait conclu des accords -fussent-ils locaux – avec l’AfD. Car le vent mauvais de cette possibilité d’une alliance CDU/CSU/AfD est venu de militants Démocrates-Chrétiens qui – bien que démentis par leurs instances – ont fait entendre leur voix notamment en Sachsen-Anhalt où il y aura des élections régionales en 2021.

Les conservateurs s’interrogent sur l’éventail des courants qu’ils veulent incarner à droite : notre confrère de Zeit Online n’hésite pas à interpeller les porteurs d’ouverture plus ou moins timide vers l’AfD avec ce titre ravageur : « Wie lange noch CDU ? » A gauche, le SPD a été interpellé par son ancien dirigeant, l’ancien ministre-président de la Sarre Oskar Lafontaine qui évoque une possible fusion (refusée aussitôt par le parti concerné) entre Die Linke et le SPD. Son épouse, Sahra Wagenknecht, avait déjà essayé de promouvoir, sans succès, cette idée de regroupement de la gauche en créant « Aufstehen » : depuis, elle a quitté l’animation de ce mouvement. Et Die Linke espère toujours voir briser le plafond de verre qui l’empêche (au contraire de ce qui se passe à l’Est) d’être associé à un pouvoir régional à l’Ouest. Le parti espère que ce sera le cas à Brême : une « première » malgré les pressions subies tant à gauche qu’à droite. Cette dernière (AKK en tête) redoute que cette « première » n’anticipe une grande nouveauté : une coalition nationale de gouvernement !

La nouvelle République de Berlin en marche ! – Les transitions s’organisent et une « nouvelle République de Berlin » est en train de devenir une réalité tangible. Y compris dans un domaine que les gouvernements successifs avaient trop sous-évalué : l’émergence d’une extrême-droite violente et arrogante qui hésitait de moins en moins, au rythme des fifres et des tambours, bannières déployées, à cacher ses fondations néo-nazies, relents d’un passé qu’on avait trop souvent tendance à occulter : le meurtre, près de Kassel, de Walter Lübcke abattu par un proche de la mouvance neo-nazie a été un signal de plus. « Les néo-nazis doivent être combattus dès leur émergence et ce sans tabou ! » a conclu Angela Merkel au « Kirchentag » de Dortmund ! Il est plus que temps!

(1) « L’Allemagne de Berlin. Différente et semblable » par Alfred Grosser, éditions ALVIK.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste