Russie : Nawalny trippe un max’ !

Services secrets et médias pro-Poutine veulent semer la confusion

Homme empoisonné. Vincennes, v.1550 Foto: Benjamin Gavaudau/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/PD

(Marc Chaudeur) – Que cet opposant d’une admirable rigueur et d’un courage exemplaire, Alexandre Nawalny, ait été empoisonné, cela ne fait de doute pour à peu près personne. Même pas pour les petits camarades de Poutine en France, qu’on repère aisément dans les rangs du RN. Mais c’est une technique éprouvée des services russes, et de la presse vénale à sa botte, que de semer la confusion.En l’occurrence, on raconte bien des choses ébouriffantes, par exemple que Nawalny, s’il semblait un peu malade, c’est qu’il venait d’avaler une dose de LSD ! C’est grotesque. Mais ça peut marcher.

Les services secrets russes, passés maîtres dans cette technique d’intoxication et aidés en cela par une presse particulièrement vénale, commence par jeter dans la vie publique quelques dizaines d’ hypothèses dont certaines parfaitement farfelues afin de noyer les certitudes palpables dans un flot d’affirmations absurdes qu’on met au même niveau.

Selon quelques journaux entretenus par le FSB, Alexander Nawalny aurait donc avalé un trip. Tiens, cela existe donc encore, des gens qui absorbent du LSD, cette substance qui a submergé l’extrême-gauche américaine sous un flot de stupidité passive et paralysante durant une bonne décennie ? Mais les canards boiteux, si nombreux en Russie, avancent d’autre « hypothèses » : Nawalny aurait cuvé une cuite. Il aurait subi une intoxication alimentaire due à des emballages en plastique. Selon d’autres, il aurait failli succomber à des diètes absurdes. Ou bien selon d’autres encore, il n’aurait pas supporté l’avion.

Il ne fait ainsi que susciter une tempête boueuse autour d’un verre d’eau limpide. Rappelons ce qu’on sait depuis les analyses médicales pratiquées à la Charité de Berlin, un excellent hôpital : Alexander Nawalny aurait bien été empoisonné. Les toxicologues ont en effet repéré, d’ailleurs assez facilement, les traces importantes de la substance toxique : c’est un poison utilisé assez souvent, et surtout contre les espions et durant les conflits armés. Un poison qui attaque le système nerveux et peut y occasionner de très graves dégâts.

Et l’empoisonnement d’opposants est désormais devenu un classique de la dictature poutinienne. Les premières années du siècle ont été riches. Jugeons en. En 2003 , un député à la Douma qui produisait depuis 1995 un travail extraordinaire contre la corruption et le crime organisé. Youri Chtchekotchichine, était empoisonné.

Un peu plus tard, l’admirable et très regrettée Anna Politowskaia, d’un courage exemplaire, était abattue en octobre 2006 devant son domicile. Elle enquêtait de bien trop près sur Kadyrov, marionnette de Poutine et dirigeant rancement pourri de la Tchétchénie. Or, en 2004, dans l’ avion pour Beslan, où elle menait l’investigation sur un attentat terroriste dans une école et sur les manquements des services russes envoyés sur place, elle avait absorbé une tasse de thé et était tombée très sérieusement malade peu de temps plus tard… Il faut espérer que sa collègue et amie Elena Milachina, qui elle-même enquêtait avec grande persévérance dans les même pays, échappera à un sort tragique… eurojournalist.eu/russie-caucase-menaces-de-mort-pour-une-grande- journaliste/  Nous avons évoque l’affaire au mois de mai dernier.

En novembre 2016, juste après la mort d’Anna Politowskaia, l’ex-agent du FSB Alexander Litwinenko, passé ensuite aux services britanniques, était empoisonné à Londres . Une affaire retentissante, où comme dans l’Affaire Nawalny, les responsables se voyaient gros comme l’Oural, mais essayent. de semer la confusion dans les esprits, notamment occidentaux. Et cela fonctionne toujours, peu ou prou. Au pire (et le pire est souvent réel), des internautes désœuvrés et désaxés lancent une énième interprétation complotiste et paranoïde pour occuper leurs week ends. Pas pire que de faire croire qu’il vaut mieux ne pas mettre un masque anti-virus que d’en mettre. Blessures du narcissisme et coups de sabres dans le bon sens, “chose du monde la mieux partagée” selon Descartes…

Ici, c’est moins un question de bon sens que de constatation empirique. Mais l’affirmation médicale qu’il s’agit de tel ou tel poison va être noyée par les sbires de Poutine, services et presse, dans un flot d’affirmations dont certaines absurdes, et, si possible, contradictoires. On s’arrangera aussi pour suggérer que ke vrai coupable, c’est l’ Union européenne et l’Occident ! Là aussi, grand classique.

On rappelle de ci de là que de ce point de vue, la situation ressemble à s’y méprendre à celle du crash de l’avion de ligne MH17 à la frontière russo-ukrainienne, le 17 juillet 2014, l’année où l’Ukraine a changé de régime. Un tir de missile sol-air avait abattu l’avion, et fait 300 victimes. Or, ce missile avait été amené de la 53ème brigade russe de DCA dans la zone du Donbass.

Preuve accablante. Mais les médias à la botte de Poutine, dont un chaîne de télé, ont répandu le bruit qu’une fusée ukrainienne devait être tirée contre l’avion de Poutine qui précisément, rentrait d’Amérique du Sud ce jour là ! Et puis Almas Antei, le fameux constructeur de missiles, a procédé à une reconstitution qui avait coûté presque 150 000 euros pour « montrer » que le missile fautif n’avait pu être tiré que d’un engin ukrainien ! Et puis, autre version provenant des milieux proches du gouvernement : l’avion de ligne aurait été abattu par un chasseur ukrainien…

Pourtant, la preuve était là. Mais il fallait la noyer dans un océan d’affirmations plus ou moins vraisemblables et plus ou moins évidemment absurdes – « plus c’est gros, plus ça marche » – et s’arranger pour compromettre soit la victime, soit l’Occident, soit les deux.

Voilà ce à quoi nous assisterons encore pendant quelque temps. Et comme d’hab’, les voix de part et d’autre finiront par se taire. Mais que fera Alexander Nawalny ? Pourra-t-il retourner en Russie ? Dans son pays ?

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