Slovaquie : Justice et démocratie

Marian Kočner incarcéré, Zuzana Čaputova bientôt présidente !

Zuzana Caputova, candidate progressiste, bientôt présidente de la République slovaque ? Foto: Teslaton / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – « A mon avis, Marian Kočner n’aurait pas osé agir seul sans la protection de gens influents. Nous devons poursuivre l’enquête plus loin ». (Joszef, le frère de Ján Kuciak, cité dans l’OCCRP).

L’homme suspecté d’avoir fait assassiner Kuciak incarcéré, une candidate surprise progressiste qui risque de l’emporter… La Slovaquie, membre de l’Union européenne depuis 2004, bouge et trépide. La candidate, c’est Zuzana Čaputová, une avocate âgée de 45 ans qu’on peut qualifier de progressiste-libérale. Elle bénéficie du désistement surprise d’un homme plutôt conservateur, Robert Mistrík. Voilà qui est étrange : un conservateur passe la main à une candidate progressiste ? Mais cela s’explique assez aisément par la volonté de la population slovaque de changer la politique, de s’extraire de quelques décennies de magouilles transcendantales et de corruption. En tout cas, Madame Čaputová aura fort à faire si, comme il y a de fortes chances, elle est élue le 30 mars prochain. Une tâche lourde, très lourde, que certains Slovaques qualifient d’ailleurs d’impossible.

Sur le plan politique, un élément positif : le président sortant, Andrej Kiska, a été exemplaire, une sorte de modèle pour l’Europe centrale – et pour l’Europe tout court (clin d’oeil appuyé). Les pouvoirs du président slovaque n’ont pas l’étendue du président français ; mais il dispose du droit de veto sur la formation des gouvernements, et du droit d’élire les membres Conseil constitutionnel. Important !

Qu’une personnalité comme Madame Čaputová, ancienne militante écologiste et admirée pour son intégrité, dispose de ces pouvoirs, ne peut que réjouir les citoyens européens.

La Slovaquie est dans un trend positif de reconstruction et de changement. Ce trend est né de l’assassinat du journaliste Ján Kuciak, l’an dernier, et du traumatisme profond qu’il a suscité. On veut que les choses changent maintenant ; on veut accéder à plus de démocratie réelle, de transparence et surtout, d’intégrité. Haro sur le baudet à couronne, c’est-à-dire sur le parti au pouvoir, le Smer-« SD »!

Et voilà que l’homme suspecté d’avoir commandité l’assassinat de Jàn Kuciak, l’homme d’affaires Marian Kočner, est retenu en détention. La police disposerait d’une preuve solide de sa culpabilité, qu’elle n’a pas révélée. Mais arrêter Kočner, ce n’est pas tout ; c’est même presque rien, au vu de la densité et de la complexité de la toile tissée au fil des décennies par l’araignée Corruption…

Kočner a-t-il été protégé en très haut lieu jusqu’à l’été dernier ? C’est ce qu’essaie d’établir l’excellent média d’investigation OCCRP (https://www.occrp.org/), que nous reprenons ici largement, pour lequel Kuciak a travaillé jusqu’à quelques jours avant sa mort.. Certaines personnes bien informées disent que Kočner était depuis longtemps en relation amicale avec l’ancien procureur général, Dobroslav Trnka : d’où, chez lui, le sentiment d’être devenu intouchable. Ján Kuciak avait mis le doigt sur des fraudes dans l’acquittement de la TVA par l’homme d’affaires  (nous en avons parlé dans plusieurs articles précédents). En juin 2018, déjà, le financier véreux était détenu jusqu à son procès : on lui reprochait transferts suspects et fraude fiscale.

Début septembre 2018, Kočner adresse des menaces à Kuciak après un article sur lui dans un média slovaque. Avertie, la police ne réagit nullement. Kuciak est observé ensuite par des sbires de Kočner. Un ancien officier des services a déclaré aux enquêteurs, lors du procès, que Kočner l’avait engagé à cette fin, lui et un autre, afin d’essayer de le compromettre sur une affaire de mœurs.Ce qui était d’ailleurs absurde. Mais le but réel de cette surveillance était peut-être plutôt la préparation du meurtre…

Kočner gigotait en réalité dans un écheveau complexe qui concernait des intérêts politiques, financiers et criminels, sur lesquels Ján Kuciak informait les lecteurs. C’est ainsi que Kočner était lié assez étroitement, et de diverses manières, au Premier ministre de l’époque, Robert Fico, et à Robert Krajmer, chef de l’unité anti-corruption (NAKA) créée quelques années auparavant !

Par ailleurs, Robert Fico, l’ancien Premier ministre qui a démissionné l’an dernier, entretenait des relations suivies (et fort bien établies par les investigateurs et les enquêteurs) avec des membres éminents de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise ; singulièrement avec Antonino Vadalá, trafiquant d’héroïne à grande échelle, puis spécialiste de la fraude dans l’agro-alimentaire Il s’était établi dans l’Est de la Slovaquie, à un endroit plutôt discret. Les deux hommes se sont connus par le biais d’une jeune femme d’abord associée de Vadalà, puis assistante de Fico (voir nos articles précédents dans eurojournalist). Et Vadalà s’est vanté à plusieurs reprises, dans quelques conversations téléphoniques, des protections dont il jouissait de la part de chefs des douanes et de membres du SIS, le service de renseignement slovaque.

Marian Kočner et Robert Fico, l’homme d’affaires véreux et le Premier ministre, étaient voisins ; voisins tout proches, dans un certain ensemble immobilier de prestige, à Bratislava…

Quant au « flic anti-corruption » Robert Krajmer, il semble avoir aggravé ses dispositions véreuses lors de son travail contagieux à la NAKA… Un mystère non résolu : Krajmer était présent sur les lieux du meurtre de Kuciak, très peu de temps après les faits. Que faisait-il là ? La police a commencé par nier sa présence à quelques mètres de la maison de Ján ; puis, Krajmer ayant été filmé là-bas par une chaîne de TV, elle a expliqué qu’il se trouvait là pour les besoins de l’enquête…

Nous ne pouvons entrer ici dans toutes les subtilités des relations sociales entre ces personnages peu appétissants. Il y a beaucoup, beaucoup à dire encore… En tout cas, l’élection de l’admirable Zuzana Čaputová témoignerait d’une volonté de rebondir, de s’extraire par le haut de cette crise politique prolongée, cette crise qui gangrène un pays aussi riche en potentialités que la belle Slovaquie ! Il faudra que la population profite au maximum de cette impulsion éminemment positive.

 

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