Turquie : Municipales

La débâcle d’Erdogan

Le tram d'Istanbul Foto: Radomil /Wikimédia Commons/ CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – « Celui qui gagne Istanbul gagne toute la Turquie » (Erdogan, en 2017). L’AKP, le parti de ce dirigeant qu’une grande minorité de Turcs considèrent comme charismatique, vient de perdre les grandes villes du pays, avec cet échec retentissant dans la capitale, Ankara. C’est la première fois depuis la fondation de l’AKP, un parti qu’on peut qualifier d’islamo-populiste, qu’il fait l’expérience d’un échec : il n’a connu que des victoires depuis plus de 15 années… Visiblement, il n’est pas encore arrivé à l’accepter.

Comment réagira-t-il à la nouvelle de la chute d’Istanbul, cette mégapole de 15 millions d’habitants, cette ville qui est sienne, où il a commencé son ascension ? Istanbul, c’est là qu’il a gravi les degrés du pouvoir, à partir d‘une condition très modeste ; la ville dont il a été le maire au début de sa carrière aux dents longues et aiguisées. C’est aussi une image de l’ensemble de la Turquie, avec ses quartiers, ses petites communautés… En tout cas,beaucoup de Turcs craignent, et beaucoup en ont la certitude, que le raïs réagira de manière violente et dictatoriale. Il est vrai que depuis 2015, il évolue dans la sphère des dictatures de plus en plus affirmées.

Recep Tayyip Erdogan semble ne pas vraiment croire à sa défaite. Hier, il insistait sur les villes et les villages remportées par son parti. Il ne peut accepter que l’opposition du ait, quant à elle, ravi les 5 plus grandes villes turques. Il affirme que l’AKP reste majoritaire – ce qui n’est vrai que dans la mesure où il bénéficie de l’apport des voix du MHP, un parti fascisant rallié. L’ AKP ne représente en réalité que 45 % des suffrages, ce qui signifie tout de même, en effet, que les campagnes ont voté massivement pour lui.

Pourquoi ce que beaucoup d’observateurs considèrent comme une véritable débâcle ? Politiquement, il a supprimé la liberté d’expression et démonté les institutions démocratiques et l’Etat de droit, surtout après 2016, après cet étrange putsch bizarrement avorté. Les campagnes turques pensent s’ accomoder assez bien d’une islamo-dictature . Mais ce qui importe surtout dans cette défaite, c’est l’incapacité d’Erdogan à assurer la prospérité à « sa » population, cette prospérité qu’il a promis lors de sa victoire aux présidentielles.

La politique économique d’Erdogan a été aberrante, et il s’est réalisé ce que nous disions craindre il y a plus de 6 mois (voir Eurojournalist, début août 2018). La raison principale en est la manière dont le raïs a essayé de tutoyer l’inflation ; ce qui a été fait, c’était exactement le contraire de ce qui aurait dû être fait.

Ces erreurs considérables auront un prix politique à l’intérieur même de l’AKP, dont le nom signifie : Parti de la justice et du développement ; car dans le parti se côtoient des personnalités très compétentes, dont on pourrait difficilement croire qu’ils seraient indifférents au sort de leur pays pour ne pas réagir contre les hérésies économiques et l’opportunisme à court terme de leur chef.

On pense irrésistiblement à ce qui se serait passé si l’Europe avait ouvert ses portes à ce grand pays et à son immense apport dans la plupart des domaines : pour la Turquie, pour l’ensemble de l’Europe, pour la paix au Moyen Orient et pour la future paix dans le monde… Rappelons à toutes fins utiles qu’Erdogan était europhile,il y a à peine 20 ans, et que c’est l’Europe qui lui a tourné le dos.

Enfin, soyons très attentifs au fait que les prochaines élections présidentielles n’auront lieu qu’en 2023, ce que beaucoup ici semblent oublier. Erdogan peut encore exercer de beaux ravages d’ici là, dans presque toutes les institutions du pays. Nous sommes impatients de voir ce qui va se passer maintenant et dans les prochains mois.

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste