Tyrol du Sud : la double nationalité, bof…

La sagesse forcée de l’Histoire

Meran/Merano en hiver Foto: G2/Wikimédia Commons/CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – Le gouvernement de droite allié à l’extrême-droite a proposé aux germanophones et aux ladinophones la nationalité autrichienne. C’est cadeau ? Mais pourtant, selon des sondages récents, l’obtention du passeport autrichien ne semble guère intéresser les Tyroliens du sud, et pas davantage les germanophones que les italophones. Surprenant ? Pas tant que cela.

L’idée de conférer aux Tyroliens du Sud la nationalité autrichienne, les partis de droite et d’extrême-droite au pouvoir l’ont exprimée en 2017 dans le Traité d’alliance entre FPÖ et ÖVP. Elle venait, expliquaient-ils, exaucer un vieux souhait des Tyroliens de la région de Bozen/Bolzano et de Meran/Merano, annexée en 1919. Et il est vrai que le paquet cadeau offert à l’État italien par le Traité de Saint-Germain-en-Laye de septembre 1919 (et ce, malgré les assurances de Woodrow Wilson) contenait un zébulon à ressort : les violences ont été nombreuses dans la région, tant il était difficile de faire cohabiter italophones et germanophones dans ce pays magnifique.

Et cela d’autant plus à partir de 1922, après l’accession de Mussolini et de son parti fasciste au pouvoir : ces nostalgiques délirants de la grandeur romaine ont en effet italianisé de force le Tyrol du Sud, en important un nombre considérables d’Italiens (de 1910 à 1921, le quota d’Italiens est passé de 3% à 11%, et à 35% en 1961), en italianisant les toponymes, en interdisant la langue allemande, et plus largement, en refusant de la plus dure manière quelque droit que ce soit à ce qui était en passe de devenir une minorité.

Les résultats ont été au rendez-vous, davantage encore après 1945 qu’après 1918, d’ailleurs ; la période 1955 – 1961 a été marquée par un mouvement militant très actif et, dans une certaine mesure, très efficace – qui n’a pas hésité, durant une courte période, à poser des bombes. En faisant peu de victimes, mais avec pour point culminant spectaculaire de ce type de violences, la destruction d’une grande centrale électrique le 12 juin 1961…)

On pourrait dire que les résultats ne se sont pas fait attendre : voilà pour les Tyroliens du Sud germanophones, à partir du début des années 1970, la reconnaissance de droits très étendus : médias en langue allemande, scolarité, statut d‘autonomie d’emblée fort bien articulé sur le plan juridique,.. Des droits qu’en France, les autonomistes bretalsacorses n’imaginent que dans leurs rêveries les plus euphoriques… Et grâce à la paix globalement assurée entre les 2 (ou 3, avec les Ladins) ethnies, la région est devenue la plus riche de toute l’Italie. Pour celui qui a connu la région avant 1975, les différences sont remarquables et frappantes.

Et voilà que le FPÖ et l’ÖVP au pouvoir en 2017 proposent ce double passeport… Mais selon le sondage récent commandé par la Société Michael Gaismair de Bozen/Bolzano, à notre connaissance le premier sondage précis sur la question, les Tyroliens du Sud ont d’autres chamois à caresser. En effet, seuls 6% des interrogés estiment que bin tins, v’là une excellente idée ; mais 62% des Tyroliens du Sud germanophones pensent que c’est une Schnapsidée. Certains parmi les meilleurs commentateurs pensent qu’ils craignent que le double passeport menace la paix entre les communautés, plus que solide depuis plusieurs décennies. Mais FPÖ et ÖVP s’entêtent.

La paix entre les communautés sud-tyroliennes, mais aussi, la concorde entre Vienne et Rome… Car bine évidemment, les autorités italiennes voient d’un mauvais œil cette décision unilatérale – à comparer avec la décision d’Orbán à l’égard de la forte minorité hongroise en Ukraine. Cette unilatéralité est d’autant plus critiquable qu’à l’opposé de la plupart des pays européens, l’Autriche droitière a plutôt durci les conditions d’obtention de la nationalité autrichienne et a augmenté le montant de la somme à payer pour devenir citoyen.

En tout cas, on peut méditer longuement sur le sens de l’Histoire à partir de ce cas de figure : est-il nécessaire que l’Histoire passe avec sa grande hache, selon le mot de Georges Perec, pour que les hommes atteignent à quelque choses comme une certaine sagesse, et pour que les communautés culturelles et linguistiques s’entendent entre elles ? Même si cette constatation est plus hegélienne que politiquement correcte, ce ne serait certes pas la première ni la seule fois…

 

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