Ukraine : le Nouvel An juif à Ouman

Un pèlerinage gigantesque pour Rosh Hashanah

A Ouman, un tourbillon permanent Foto:Isspahout/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/3.0Unp

(Marc Chaudeur) – « Mon feu brûlera jusqu’à la venue du Messie » (Rabbi Nachman de Breslev). Le Nouvel An juif (Rosh Hashanah, ראש השנה לשנים de l’an 5781) sera célébré à partir de ce soir et jusqu’à dimanche soir 18 heures. L’occasion depuis deux siècles d’effectuer un pèlerinage vers Ouman, à peu près au centre de l’Ukraine. Cette petite ville est devenu un centre mondial du hassidisme vers lequel des dizaines de milliers de personnes affluent, venant du monde entier. Un destin extraordinaire pour ce lieu où se trouve le tombeau du Rabbi Nachman de Breslev, petit-fils du Baal Shem Tov, le fondateur d’un mouvement de renouveau contre ce qui était considéré, au 18ème siècle, comme un excès d’intellectualisme dans l’exercice de la foi.

Cette année, un gros problème pour les personnes qui ont l’intention d’aller prier et danser près de la tombe du Rabbi Nachman : la protection contre la COVID-19… L’Ukraine a fermé ses frontières depuis quelques jours. Les pèlerins seront donc bien moins nombreux que les années précédentes : mais beaucoup sont arrivés avant la fermeture…

Ces jours ci, des centaines de pèlerins hassidim sont regroupés sur la frontière bélarusse. Ils ont obtenu l’autorisation des autorités de Minsk de se rendre à Ouman, mais pas celle du ministère des Affaires étrangères ukrainien… Ils campent donc là, actuellement, et attendent. 700 personnes environ se trouvent dans l’espèce de no man’s land qui sépare les deux pays, devant le poste frontière de Novaia Guta.

Pourquoi ce problème se pose-t-il ? C’est qu’un certain nombre de ces pèlerins vient d’Israël via le Bélarus, où habitent encore des membres de leurs familles – des familles que le communisme a écartelées jusqu’à la fin des années 1980. Les relations du régime Loukachenka avec Israël ne sont pas bonnes, pourtant ; mais le dictateur semble encourager le plus grand nombre possible de pèlerins hassidim à traverser le pays et à joindre Ouman,la ville ukrainienne où se trouve le tombeau de Rebbe Nohmen, dans la région de Tcherkassy.

Et hier, le vice-ministre des Affaires étrangères d’Ukraine, Evgeni Enin, est allé jusqu’à soupçonner Loukachenka de vouloir semer le désordre dans son pays, avec le risque sanitaire considérable que cela pose en temps de COVID-19…

Le Rabbi Nachman de Breslev (en yiddish : Rebbe Nohmen Breslover) est mort en 1810. Arrière- petit-fils du Baal Shem Tov, le fondateur du hassidisme, il est lui même un grand maître spirituel, dispensateur d’un enseignement et d’une œuvre considérables. Originaire de la ville de Medjybij, il a voulu être enterré à Ouman parce qu’il aimait ce lieu ; et il l’aimait avant tout parce qu’il désirait reposer parmi les siens, ces 20 000 personnes au moins qu’on a massacrées en 1768 parce qu’elles refusaient de se convertir.

Rebbe Nohmen avait initié un renouveau du hassidisme, notamment contre ce qu’on ressentait comme les excès d’un certain intellectualisme élitiste (porté entre autres par «les Litvak», comme on disait du côté de Vilnius et de Lviv…) et la Haskala, sorte de mouvement juif des Lumières. Un peu comme le piétisme protestant du 17ème siècle, le Rebbe a voulu réhabiliter la joie et l’union à Y….h par la danse et la participation physique. Pour mieux comprendre, voir et revoir Louis de Funès, cum grano salis !

…Et son tombeau est devenu surtout depuis le début du 20ème siècle le but d’un pèlerinage très fréquenté. Après la révolution bolchévik, certes, quelques dizaines de personnes seulement osaient s’y rendre et braver les harcèlements brutaux aux frontières. Mais au 21ème siècle, il attire des milliers de personnes. Une foule hallucinante envahit désormais les quelques rues de cette petite ville : presque 100 000 en 2018 ! Dans Ouman, on a fait construire pas moins de 40 hôtels ; on accueille les pèlerins israëliens, polonais, russes, bélarusses, canadiens, étatsuniens,… avec des repas gratuits et des boissons (visiblement sponsorisées par Coca et par Starbucks…), et l’ambiance de ce kibboutz (rassemblement) est vraiment oïoï, vraiment hassidique : on danse partout pendant les deux jours que dure Rosh Hashanah. Mais attention à la contamination, cette année…

« Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît : tu risquerais de ne pas te perdre », a dit un jour Rebbe Nohmen. Magnifique, et si pertinent.

Joyeux ראש השנה לשנים à nos amis juifs, en tout cas !

 

 

 

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