1er Juillet – un duo allemand (et Macron) à la tête de l’UE
Alain Howiller sur la deuxième moitié de l'année européenne 2020 – qui sera germanique et peut-être aussi franco-allemande.
(Par Alain Howiller) – Le Conseil Européen va donc se retrouver dans quelques jours à Bruxelles pour revenir sur l’échec de la visio-conférence du mois de juin. Les participants à cette « rencontre » se sont finalement entendus pour se retrouver les 17 et 18 juillet à Bruxelles. Il s’agira pour eux de trouver une solution pour l’adoption et la mise en œuvre du plan de relance européen, qui doit aider les pays membres de l’Union Européenne à faire face aux conséquences économiques du Covid-19. « Il n’est pas certain qu’un accord soit finalisé à ce moment-là », a tenu à préciser Mark Rutte, le Premier ministre des Pays-Bas, « Il se peut que nous ayons besoin pour cela de tenir davantage de sessions pendant l’été ou plus tard. Nous allons examiner tout cela ».
Mais la marche vers un accord, qu’il intervienne maintenant ou plus tard, est d’autant plus probable que désormais la convergence franco-allemande semble rétablie, les rencontres auront lieu en « face-à-face », et elles auront lieu sous les auspices d’un duo, hier encore insolite. En effet, les rencontres verront, côte à côte, Angela Merkel, qui a pris le 1er juillet et pour six mois la présidence du Conseil, et Ursula von der Leyen, qui préside la Commission, l’organe exécutif de l’Union Européenne.
Merkel version… piano mécanique – Un duo féminin qui fait se retrouver celle qui est encore chancelière pour un peu plus d’ un an et celle qui fut sa ministre entre 2005 et 2019 ! Les deux femmes se connaissent bien et force est de constater qu’elles n’étaient pas toujours d’accord, en particulier sur la… finalité de l’Union Européenne ! Ministre, von der Leyen s’était fait rabrouer publiquement au moins à deux reprises : lorsqu’elle avait plaidé pour les « Etats-Unis d’Europe » et lorsque qu’elle avait cru devoir se prononcer en faveur d’une armée européenne ! Car jusqu’à très récemment, Angela Merkel était très « pro-européenne » en paroles, mais souvent réservée en actes. Une part de sa « distanciation » avec Emmanuel Macron vient de là. Jörg Meuthen, porte-parole et responsable du parti d’extrême-droite « Alternative für Deutschland – AfD » a eu, à ce propos, une phrase terrible : « Quand elle parle d’Europe, c’est toujours le même discours, elle le fait comme un piano mécanique ou un juke box » (« Sie ist eine EU-treue “Phrasenwurlitzer” »). Mais avec son réalisme habituel et sa « flexibilité », la chancelière, qui hier encore avait sans doute intégré les scores réalisés par « l’AfD », a évolué ces derniers mois.
Il est vrai que, tous sondages confondus, l’AfD tourne autour de 9% d’intentions de vote (contre 12,6% de voix obtenues aux élections de 2017), alors que le groupe « CDU/CSU » se situe entre 38 et 40% (32,9% obtenus en 2017). Deux autres sondages ont sans doute contribué à faire évoluer la chancelière : le premier met en évidence le fait que le nombre d’Allemands qui font confiance et apprécient les USA de Donald Trump ne cesse de baisser : ne serait-ce pas le moment d’en revenir au projet européen ?
Les Allemands en faveur de la solidarité européenne – Une évolution qu’une deuxième analyse vient conforter : selon un sondage « Civey » pour le Spiegel, plus de 50% des Allemands interrogés ont estimé que l’opinion publique appréciait de moins en moins les Etats-Unis de Donald Trump et la proposition von der Leyen de mettre en place un plan de relance à hauteur de 750 milliards d’euros était justifié : il l’était « clairement » (eindeutig) pour 25,4% des sondés et « plutôt » (eher) justifié pour 26,3% d’entre eux. Seuls les sympathisants du parti libéral « FDP » et ceux de « l’AfD » sont majoritairement hostiles au projet. La chancelière a toujours su se placer dans le vent des sondages d’opinion : en outre, elle a pris conscience, poussée par les milieux économiques, que les exportations risquaient fort de s’écrouler davantage encore si la capacité d’achat des partenaires européens s’effondraient !
Le tandem Von der Leyen / Merkel va pousser aussi fort que possible pour qu’intervienne un accord sur le projet de relance économique. La première, « exfiltrée » du gouvernement grâce au soutien d’Emmanuel Macron au moment où elle était en grande difficulté en tant que ministre de la Défense, doit remporter un succès en forme de revanche. La seconde doit terminer sa dernière année de pouvoir par une réussite reconnue ! Cela fera bien dans son bilan au moment où la CDU, toujours en quête de président(e), fête ses 75 ans d’existence ! Toujours largement en tête sur la liste des personnalités politiques préférées par ses concitoyens, la chancelière doit faire face à une situation insaisissable : les opposants défilent dans les rues pour protester contre les mesures de restrictions prises dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, elle doit faire face à la fronde des Ministres-Présidents de plusieurs Länder qui ne veulent pas se soumettre aux mesures de confinement et qui arguent de leurs pouvoirs en matière de santé vis à vis du gouvernement fédéral. Des émeutes éclatent à Stuttgart, et la confrontation avec la pandémie montre qu’en préconisant sans cesse la prudence, c’est Angela Merkel qui avait raison.
Un « duo » qui se joue à… trois – La situation de l’Allemagne, et plus particulièrement de la chancelière elle-même, va contribuer à ce que le « duo allemand » à la tête de l’Union Européenne se transforme (en fait, c’est déjà réalisé) en un « trio germano-français » liant Merkel, Von der Leyen et Emmanuel Macron. Le gouvernement fédéral a dû prendre des mesures pour limiter les prises de contrôle d’un nombre croissant d’entreprises allemandes par des capitaux venus de Chine Populaire. Merkel avait affirmé avoir la preuve que les Russes avaient cherché à la « pirater » : elle a beau s’entretenir en russe avec Poutine qui lui répond dans un excellent allemand, les liens, cultivés un temps, se sont distendus. Et que dire des relations avec les Etats-Unis, si ce n’est qu’entre la chancelière et Donald Trump s’est installée une guerre des mots accompagnée de mesures punitives destinées à soumettre l’économie et le gouvernement aux exigences américaines : America first… toujours !
On comprend que, dans ce contexte, en prélude à sa présidence du Conseil Européen, Angela Merkel ait souligné devant le Bundestag : « En tant qu’Allemande ayant vécu 35 ans en DDR, le fait que l’Europe symbolise encore la Liberté et l’ Egalité, constitue toujours pour moi un motif de fierté… Bâtie sur les ruines des Etats nationaux, l’Europe constitue le défi le plus important de notre histoire… »
« Europe is back !… » – « Nous ne pouvons pas accepter que l’Union Européenne se satisfasse d’une division entre ses membres… La pandémie a mis en relief combien l’Europe reste fragile : nos premiers réflexes devant le virus furent de type national, ce qui n’était pas raisonnable. Il faut que l’Europe élève une voix forte pour les Droits de l’Homme, la Démocratie et la Liberté… L’Europe a besoin de nous, comme nous avons besoin de l’Europe. Aucun pays ne peut affronter les crises en étant isolé, aucun pays ne peut survivre en restant isolé… C’est le moment d’engager des réformes ! »
Plaidant pour la solidarité européenne, insistant sur les vertus de la démocratie, la chancelière se tourne vers les députés de l’AfD d’où étaient parties des protestations et leur lance : « Certains ici semblent se sentir visés !… » Un grand discours pro-européen chargé d’émotion chez une chancelière qui n’a pas la réputation de laisser émerger ses sentiments. Est-ce enfin le tournant qu’on attend ? Pourra-t-on bientôt constater « Europe is back ? » Et retrouver ce moteur franco-allemand sans lequel – nous le savons bien – l’Union Européenne n’avance pas ?
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