Bagarres sur du sable mouvant

Allemagne : le match Drosten – Kekulé

Un magicien Hocuspocus comme les aiment les médias Foto: Racconish/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/PD

(Marc Chaudeur) – Le sujet est en apparence celui, très sérieux, de la contagiosité des enfants ; l’arrière-plan, c’est sans doute une petite lutte de pouvoir, au moins pour capter l’admiration des médias et donc, du public. Oui, si dans l’affect du grand public, les virologues-chefs occupent aujourd’hui le statut de sorciers-guérisseurs, ce sont des êtres humains, soumis eux aussi à des phénomènes de jalousie et de soif de pouvoir, au moins médiatique.

« On ne saurait critiquer Monsieur Kekulé : encore eût-il fallu qu’il publiât » : tel est la riposte essentielle, en somme, de Christian Drosten, le virologue de l’Hôpital en chef devenu certes une star des médias allemands, à la critique d’Alexander Kekulé, le directeur de l’Institut de Biologie Médicale à l’Université de la bonne ville de Halle, en Saxe – à l’Est de l’Allemagne, donc (Halle est la ville d’origine de G.-F. Händel, dont le caractère n’était pas vraiment facile non plus).

Il y a quelques jours, la Bild-Zeitung (que depuis les années 1960, les mauvais esprits comme nous appellent la Blödzeitung, mais il lui arrive d’être un peu moins bête), fameux journal donc, cite un nombre respectable de statisticiens qui mettent en doute les chiffres donnés par Christian Drosten. Le virologue de la Charité est devenu incontournable en Allemagne : on peut le voir tous les jours à la TV, qui commente et interprète les chiffres de la pandémie et les faits nouveaux. Mais les statisticiens en question prennent la tangente sur la pointe des pieds, parce qu’ils considèrent que la Bild ne s’est pas entretenu avec eux ou même, qu’elle les a cités faussement. Mais curieusement, le Professeur Kekulé s’est joint à ces critiques un peu floues dans un entretien pour un autre média, le Tagesspiegel, et il demande au Professeur Drosten de retirer son étude.

Mais… Le sujet ? Il s’agit de la contagiosité des enfants. Vous avez certainement, comme nous, traversé un jour un parc au milieu de ribambelles d’enfants sur leurs tricycles qui vociféraient d’une voix perçante tout en postillonnant allègrement de par le vaste monde sur tout ce qui bougeait autour d’eux. Eh bien, l’équipe du Professeur Drosten dit avoir constaté que la concentration de virus sur les muqueuses du pharynx (sur leurs expectorations, donc) ne sont pas plus élevées que chez les adultes. Mais Kekulé estime que son cher collègue s’est trompé. Et étrangement, ce dernier a admis à mi-voix qu’il avait l’intention d’exploiter de nouvelles données et recalculer ses statistiques. Alors, dans ce cas, demande Kekulé, pourquoi Drosten ne retire-t-il pas son étude préalable, et risque-t-il ainsi de faire l’objet d’attaques prolongées, et plus ou moins sommaires ?

Une dispute (car cette chamaillerie ne mérite pas le nom de polémique, malheureusement) à la fois étrange et significative d’un certain rapport vicié entre sciences et exploitation médiatique. La critique du Professeur Kekulé semble justifiée : il fait remarquer que le protocole des prélèvements des expectorations avec des écouvillons n’est pas sériée de manière rigoureuse, et qu’on a utilisé pour les effectuer des instruments différents. Et de plus, l’outil statistique ne serait pas le plus approprié pour décider réellement si les enfants sont plus contagieux que les adultes. Il faut donc, préconise Kekulé, refaire des prélèvements pertinents dans les écoles et les garderies avant de tout rouvrir.

Mais la réponse du Professeur Christian Drosten paraît étrangement virulente, comme s’il craignait qu’une perle de sa couronne ne choie dans la fange : tire la gloriole, et la bobinette cherra. Drosten en effet a accusé Kekulé de faire de l’intox, de produire une présentation tendancieuse de son étude, de ne pas connaître les chiffres ( ce qui est évidemment faux!), et a essayé d’aplatir son collègue sous sa semelle en prétendant que le professeur Kekulé « ne représente rien dans la communauté des virologues ». Ce qui est non moins faux.

Une chamaillerie étrange, certes. Mais ce genre de dialogue contradictoire se produit de plus en plus souvent, beaucoup trop souvent. Quelle en est la base et quel en est l’enjeu ? Principalement le pouvoir médiatique de certaines figure scientifiques portées au pinacle, et qui deviennent ainsi ce qu’elles ne sont pas : des magiciens Hocuspocus à chapeau pointu qui auraient réponse à tout. Par exemple, en France, on a Raoult ; en Allemagne, on a Drosten. Eh bien non ; ces phénomènes sont exactement contraires à l’esprit scientifique, modeste et insistant nécessairement sur le caractère provisoire des réponses apportées, même quand elles sont le résultat de travaux d’une extrême rigueur. A fortiori quand elles ne le sont pas.

 

 

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste