D’Hildegarde von Bingen, la mystique rhénane au DM du coin…
Elle a vécu au XIIe siècle et est considérée aujourd'hui comme la première véritable phytothérapeute moderne relevant il y a neuf cent ans les propriétés thérapeutiques de plantes confirmées par les sciences actuelles.
(Par Franck Dautel) – Proclamée docteur de l’Église en 2012, sainte Hildegarde de Bingen est une abbesse du Moyen Age. Elle est la quatrième femme docteur de l’Église après Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux. Noble, religieuse visionnaire et prophète, conseillère des grands de l’époque, écrivaine, poétesse et musicienne de tout premier plan, elle est également considérée comme la première vraie phytothérapeute moderne. Sa vision originale et globale de l’être humain conserve une résonance toujours très actuelle.
Hildegarde est née le 16 septembre 1098 à Bermersheim et morte le 17 septembre 1179 à Ruppertsberg. Aussi célèbre en Allemagne que Jeanne d’Arc en France, elle évolue avec courage et audace, énergie et conviction dans la société féodale du XIIe siècle. L’église s’appuie à cette époque sur « le postulat, obstinément proclamé, que la femme est un être faible qui doit être nécessairement soumis parce que naturellement pervers, qu’elle est vouée à servir l’homme dans le mariage, et que l’homme est en pouvoir légitime de s’en servir »…
Crottes d’hirondelles et cendres de souris brûlées. – Sur les bords du Rhin dans son monastère où elle exerce sa médecine, son double don de voyance et de guérisseuse en fait l’un des médecins les plus renommés de son temps. Elle est célèbre bien au delà des frontières. Des milliers de pèlerins convergent tous les ans vers le monastère qu’elle a fondé, moins pour écouter ses prophéties et ses prêches que pour profiter de sa science médicale. Hildegarde soigne tous ceux qui viennent la voir et les témoignages se propagent de plus bel dans toute l’Europe. Elle est aussi capable de miracles rendant la vie, la vue ou la faculté de marcher à de nombreux désespérés. Pour ses soins plus généraux et moins mystiques, elle a recours dans la majorité des cas aux plantes médicinales appelées alors les « simples » aussi qu’aux minéraux. A côté de ça, elle prescrit également, nous sommes en l’an mille cent ne l’oublions pas, des remèdes qui peuvent faire sourire aujourd’hui : Décoctions de troène dans de l’urine, crottes d’hirondelles, pied trempé dans le sang encore chaud d’un bœuf, bouillies de punaises et cendres de souris brûlées…
Sa connaissance médicale combine une synthèse des ressources locales de médecine populaire et s’inspire également de Constantin l’Africain et à travers lui d’Hippocrate, de Galien, de Dioscoride et des grands médecins arabes. Sa médecine s’applique avec une méconnaissance totale de l’anatomie, la dissection des cadavres étant punie de mort au Moyen Age tout comme la présence d’un homme à un accouchement.
Hildegarde considérait l’être humain comme un ensemble de parties sèches et humides, chaudes et froides. L’équilibre de ces quatre caractéristiques majeures permettant de conserver la santé. Elle trouve dans les plantes ces mêmes principes. Certaines sont chaudes et humides, d’autres froides et sèches. C’est cet équilibre rétablit entre les éléments froid-chaud-humide-sec des remèdes qui agit, autant que les plantes elles-mêmes sur les organes malades et qui déséquilibrent les éléments froid, chaud, humide et sec du corps humain.
« Soigner le malade plutôt que la maladie » – Elle ne cessera toute sa vie de répéter un principe fondamental de sa vision de la médecine : « Il est illusoire de vouloir faire disparaître une maladie si l’on ne comprend pas ce qui se cache derrière ». Elle s’intéresse à l’équilibre d’ensemble de l’être humain et souligne la fonction thérapeutique de « Tout ce qui réjouit le cœur de l’homme et recommande la connaissance de soi comme source de toute connaissance ». Des notions très modernes pour l’époque puis oubliées à compter du XXème siècle et jusqu’à aujourd’hui encore. Seuls les homéopathes et les acupuncteurs suivent toujours et en grande partie ces principes fondamentaux.
A la fin de sa vie elle dénonce les dérives de l’église et la corruption de certains de ses membres sans être inquiétée. Elle va même, peu avant sa mort, jusqu’à faire enterrer dans son monastère un chevalier qui avait été à ses yeux injustement condamné par l’église. Hildegarde von Bingen meurt à 81 ans un âge exceptionnel pour l’époque, l’espérance de vie moyenne alors ne dépassant guère les 30 ans, elle décède le jour qu’elle avait prédit…
Des plantes et des hommes… – Neuf siècles plus tard ses enseignements sont toujours d’actualité, elle a fait des prédictions étonnantes, appliqué une médecine d’avant-garde, influencé les grands de ce monde… Elle a marqué en profondeur la société allemande jusqu’à aujourd’hui où l’Allemagne est devenue un pays pionnier en matière d’agriculture biologique et de produits naturels… Un tiers de l’alimentation bio consommée en Europe est vendu outre-Rhin. Le bio est directement lié à une prise de conscience liée à la santé. Il est développé dans différents domaines au point de faire aujourd’hui de l’Allemagne le plus grand marché européen de cosmétiques, d’aliments et de médicaments issus de la phytothérapie. Des marques comme Kneipp, Lavera et bien entendu Weleda illustrent ce marché en fort développement qui représente aujourd’hui le double de celui de la France.
Encore une nonne, Marco Polo et des grands-mères miracles. – La population allemande est toujours restée très attachée à d’anciens produits naturels de soin. On ne compte plus les grands-mères miracle et les grands-pères distillateurs qui publient leurs recettes aussi naturelles que… secrètes. Les plantes occupent encore en Allemagne une place privilégiée dans le traitement des affections mineures telles que la tension artérielle, les refroidissements, les troubles du sommeil, les douleurs musculaires et articulaires… On compte toujours autant sur les effets bénéfiques des plantes médicinales familières et familiales. Parmi ces produits on peut citer le célèbre élixir de plantes du XVIIIe siècle qu’est le « Klosterfrau Melissengeist », créé par une nonne, Maria Clementine Martin. On dit qu’en Allemagne on trouve ce produit dans un foyer sur deux ! Un autre produit fort connu, le « Franzbranntwein » un alcool à friction, une solution d’huiles essentielles conservées dans de l’alcool datant du XVIIe siècle… La recette des gouttes Olbas, une synergie très prisée d’huiles essentielles remonterait à l’époque de Marco Polo…
On achète ces produits en Allemagne et depuis 130 ans dans les Reformhaus qui sont les points de distribution les plus anciens du pays, le premier ayant ouvert en 1887 ! On y trouve depuis les origines des produits diététiques ou végétariens, des boissons sans alcool, des thés et tisanes, des « médicaments naturels » (phytothérapie, vitamines, minéraux), ainsi que de la cosmétique et de l’hygiène d’origine naturelle. En France en comparaison, la première coopérative de La Vie Claire a ouvert en 1948 et compte environ 270 magasins aujourd’hui contre 1170 Reformhaus en Allemagne plus environ 1000 en Autriche.
Outre Rhin on trouve également et souvent à bon prix ces mêmes produits dans des réseaux de distribution plus récents comme dans les drogueries DM (Drogerie Markt, 3349 filiales) ou Müller (757 magasins) jusque dans la grande distribution.
L’herboristerie est un art pratiqué dans toutes les régions allemandes comme notamment en Forêt Noire et en Bavière où l’on compte des centaines de producteurs de solutions naturelles de soin à base de fleurs, herbes, baies, racines, bourgeons de sapins ou produits de la ruche…
En France, l’herboristerie est souvent présentée comme désuète et associés à une civilisation paysanne jugée dépassée, au profit de l’industrie pharmaceutique. Aucun diplôme officiel d’herboriste n’a été délivré depuis la loi du 11 septembre 1941 en France. C’est Philippe Pétain (régime de Vichy) qui supprime le diplôme en répondant à une demande déjà ancienne de certains pharmaciens et de l’Industrie pharmaceutique. Le métier a de fait ensuite pratiquement disparu en France.
L’eau des carmélites… – Le grand écart que représente l’accès aux solutions naturelles et traditionnelles entre France et Allemagne ne se mesure pas à la largeur du Rhin mais bien à sa longueur ! Que ce soit en matière d’accessibilité que de prix, de qualité que de pratiques quotidiennes. Un produit comme l’Eau de Mélisse (Melissengeist) de la marque Klosterfrau se trouve en Allemagne à un prix moyen d’environ 50 € le litre. Un produit très proche et directement lié à l’histoire de la nonne Maria Clementine Martin, l’Eau des Carmes, se vend en France autour de 120 € le litre. Mais le Melissengeist, de très bonne qualité, est disponible en Allemagne sous d’autres marques, notamment de distributeur et est vendu autour de 13 € le litre.
Une avance qui se creuse d’avantage au gré d’autres grands écarts en matière de santé comme au sujet des protocoles de dépistage de la maladie de Lyme d’un côté et de l’autre du fleuve légendaire…
Voltaire dans « Epigrammes » faisant surement sans le savoir un clin d’œil à Hildegarde, résuma finalement bien notre médecine actuelle, bien française et, il ne faut pas se leurrer, aussi allemande, pression des grands laboratoires pharmaceutiques internationaux oblige : « Un médecin est un homme qui verse des drogues qu’il connait peu dans un corps qu’il connait moins ».
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