Journal de la guerre (3)

Le célèbre musicien et entrepreneur Dmytro Kushnir raconte la vie d'une famille ukrainienne dans cette guerre terrible. Sans filtres, sans propagande, une vie dans la guerre qui a tout chamboulé et qui continue de le faire.

Dmytro Kushnir raconte la vie d'une famille dans les errances de la guerre. Foto: privée

(Dmytro Kushnir) – … La route que nous avons prise pour évacuer la famille est appelée « Route de Varsovie », car elle mène tout droit à Varsovie, qui se trouve à 800 km de Kyiv.

En sortant de la capitale, la route sillonne pendant quelques kilomètres dans les majestueuses forêts de pin, qui encerclent la ville de presque tous les côtés, sauf au sud, et ensuite on arrive à Hostomel, une petite ville sympathique aux maisons particulières riches et somptueuses dans des quartiers résidentiels flambant neufs, et qui abrite un aérodrome, devenu ce jour le théâtre d’une bataille acharnée entre les parachutistes russes, venus en dizaines d’hélicoptères, et les forces de la défense ukrainienne.

La circulation était extrêmement dense, à la sortie de la ville, les premiers check-points étaient en train d’être construits, on voyait nos militaires creuser des tranchées dans les bois, les blindés cachés …

On ne se rendait pas compte de ce qui était en train de se passer ! Une sorte de rêve, un cinéma, mais que tu ne regardes pas tranquille devant ton écran, tu y participes !…

Nous étions donc sept personnes dans la voiture, y compris la belle-sœur avec ses deux enfants de 1,5 et 5 ans. Et le chat, bien sûr. Le beau-frère est resté sur Kyiv pour récupérer sa mère, ils allaient nous rejoindre dès que possible.

A l’entrée de Hostomel, on avait aperçu un groupe de militaires ukrainiens, armés, en uniforme de la Garde Nationale, qui marchaient très vite à pied le long de la route. Les voitures klaxonnaient pour les saluer, les soldats répondaient avec des gestes courts et précipités.

En laissant la ville d’Irpin à gauche, on arrive à Bucha, qui est presque collée à Hostomel. Ici, il s’agissait d’un véritable gros bouchon. Pendant des heures, on n’a presque pas bougé. J’ai regardé l’état de la circulation sur mon téléphone – l’application proposait un détour en passant vers les quartiers proches de l’aérodrome de Hostomel. En regardant dans cette direction, on voyait une grosse fumée qui s’élevait vers le ciel. J’ai dit qu’on n’irait peut-être pas par là-bas… il était plus raisonnable d’attendre un peu plus dans les bouchons.

A Bucha, notre supermarché préféré était encore ouvert, plein de monde, les gens faisaient leurs courses d’essentiel. Plus tard, il a succombé aux bombardements et avait à moitié brûlé…

Très lentement, mais voici que nous sommes enfin arrivés à notre village où les beaux-parents nous attendaient impatiemment. Ma belle-mère, d’origine russe, d’ailleurs, était extrêmement inquiète, presque paniquée. Au village, c’est calme, on n’entend pas le bruit d’une grande ville…

Mais par contre, on entendait très bien le bruit de la bataille à vingtaine de kilomètres d’ici ! Toute la soirée et toute la nuit, le bruit des explosions retentissaient au loin… On essayait de dormir, mais l’excitation était telle qu’on y arrivait presque pas. Moi, cette première nuit de la grande guerre, je n’ai presque pas dormi. De temps en temps, je prenais mon téléphone pour regarder les nouvelles. Ouf, la Garde Nationale a chassé les russes de Hostomel.. Ah non, ils débarquent de nouveau… Notre artillerie travaille … Une grosse colonne de matériel militaire russe se dirige vers Borodyanka … Zut, mais nous sommes à côté de Borodyanka ! … Que faire, si jamais …

Le matin du 25 février n’a pas apporté de soulagement, mais il a apporté le soleil, ce qui était déjà plus agréable. Les explosions se sont multipliées, on avait l’impression que les combats se déroulaient partout autour de nous. Ce n’était pas complètement faux.

L’inquiétude grandissait. Les femmes avec les enfants ont passé la moitié de la journée dans la cave qui sert d’endroit de stockage de légumes en hiver. Pas vraiment un super confort, mais surtout l’impression d’être à l’abri …

Nous avons mis du scotch sur les vitres, pour protéger les fenêtres des vagues d’explosion qui pourraient les faire éclater.

Les enfants pleuraient, certaines femmes tremblaient de peur. Moi, j’essayais de garder le sang-froid et de calmer tout le monde comme je pouvais. Ce n’était pas évident.

Je ne voulais pas descendre dans la cave. J’ai préféré rester dehors pour voir, essayer d’écouter, d’entendre, comprendre ce qui se passe, sentir … Certaines explosions étaient tellement fortes que la terre tremblait sous mes pieds. Je voyais des avions très haut dans le ciel, et je ne savais pas si c’était nos avions, ou ceux de l’ennemi.

Nous n’avions toujours pas décidé ce qu’on ferait après. Est-ce qu’on reste? Est-ce qu’on bouge? Je pensais qu’il fallait rester – qui donc a besoin d’un petit village perdu au milieu des forêts? Les événements qui ont suivi ont montré que j’avais tort. Ce n’est que plus tard, quelques mois après, que tout le monde avait compris qu’en temps de guerre, les grandes villes étaient finalement un endroit plus sécurisé que les villages.

Vers 18h ou 19h, mon beau-frère est finalement arrivé, avec ses parents. Ils ont mis 8 heures pour faire 40 kilomètres. Nous nous sommes tous réunis pour prendre une décision. Que allions-nous faire ?

A l’unanimité, il a été décidé de partir. Maintenant, en partant dans la nuit. Vers l’ouest.

Le bruit des combats était de plus en plus proche. Nous ne savions pas qu’en ce moment même, les russes tentaient déjà de rentrer à Borodyanka, à quelques 5 ou 6 km de là. Une bataille sans merci était en train d’éclater là-bas.

Les russes auront pris Borodyanka, après l’avoir presque complètement détruite, avec des bombes d’aviation, des chars et tout ce qu’ils avaient. Borodyanka sera restée pendant plus d’un mois sous l’occupation. Tout comme notre village…

Nous ne le savions pas, mais nous partions au bon moment. Le lendemain aurait probablement été déjà trop tard….

A suivre …

Dmytro est aujourd’hui bénévole de la brigade de combattants de la défense territoriale dans la région de Zaporijjia, au sud-est de l’Ukraine, nommée Les Loups des Steppes. La brigade se trouve sur la première ligne de front dès le 24 février 2022 et compte dans ses rangs de nombreux vétérans de guerre, actifs depuis 2014.

Actuellement, pour subvenir à leurs besoins, ces combattants volontaires s’appuient sur des bénévoles comme Dmytro qui s’occupe de la collecte de fonds auprès des organismes et des particuliers, la recherche et la livraison de tout ce qui essentiel au quotidien des soldats: sac-à-dos, chaussures, drônes, talkies-walkies, véhicules … 

Si vous souhaitez participer à l’effort de guerre et soutenir la brigade Les Loups des Steppes, financièrement ou en nature, ou si vous souhaitez devenir partenaire de la brigade, pour tout renseignement complémentaire veuillez contacter : 

Dmytro Kushnir (français, anglais, polonais)
saup.kushnir@gmail.com
+380505514354 (WhatsApp, Telegram, Signal).

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