La démocratie menacée ?

Peut-on craindre des atteintes aux libertés, demain ?

A l'Hôpital de la PItié-Salpêtrière, fin 19ème siècle Foto: Ernst Keil/Wikimédia Commons/CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – Il est trop tôt pour parler des conséquences de la propagation du virus en Europe. Mais on peut essayer de prévoir un peu ce qui va se passer à partir de quelques signes et symptômes. Déjà, on peut voir les esprits évoluer et les libertés se trouver menacées, pour l’instant de façon globalement justifiée. Mais demain ?

Tandis que nous composions un déchirant Pangolin Blues sur notre guitare, nous ne pouvions nous empêcher de penser ces jours ci à la vieille parabole des porcs-épics de Schopenhauer, toute simple : les porcs-épics, comme nous autres, éprouvent sans cesse le désir de se rapprocher le plus possible entre eux ; mais se rapprochant trop, ils se piquent ; aïe ! Eh bien, c’est exactement notre situation actuelle. Les Finlandais sont sans doute trop éloignés les uns des autres, humainement parlant ; mais les Italiens sont beaucoup trop proches. Il faut garder bonne distance (bis repetita placent).

Hier, en rentrant chez moi, j’ai été très étonné par l’attitude de mon voisin, un gros barbu bourru à l’apparence patibulaire, qui d’habitude me salue à peine. Il avait tracé à la craie une marelle sur le sol de la cour, et il y jouait avec sa petite fille. Et tous deux riaient aux éclats ! Mais surtout, avec un large sourire, ce Monsieur m’a… adressé spontanément la parole ! Rendez-vous compte, Ma’me Michu ! De tels signes indiquent sans doute que nous passons dans une société différente ; certes, on ne peut encore dire à quel degré et à quelle profondeur.

Pour que notre société change réellement, de préférence en bien, il sera nécessaire de la modifier dans ses soubassements économiques mêmes. Ce que commençaient à entreprendre les écologistes (les vrais ; la vraie écologie, non la peinture verte-alibi, implique des changements radicaux dans notre mode de vie). Pourront-ils poursuivre leurs efforts, qui nécessairement seront ceux de tous ? On ne sait. Pour le moment, par exemple en Italie, nous ne pouvons que constater le balancement tragique entre le nombre des victimes (400 dans le pays, hier) et la diminution presque brutale de la pollution : on peut à nouveau apercevoir les poissons à Venise, et les dauphins sont de retour à Trieste…

En tout cas, nous ne pouvons exclure que s’effectuera un passage entre une société globalisée d’interactions « froides » à une société solidaire, comme le dit en substance Edgar Morin ces derniers jours. Le problème principal est que nous vivons dans une société globalisée depuis longtemps, mais que notre cerveau reptilien demeure fixé sur la fermeture de soi. Où le porc-épic joue au hérisson… Notre réponse au COVID-19 devra nécessairement se faire elle-même globale. Il faut siffler dans les oreilles de l’ONU, de l’OMS, mais aussi de l’UE avec le sifflet le plus strident possible.

Mais l’aspect le plus inquiétant, en matière politique, de la propagation du vilain virus réside dans les limitations et les restrictions qu’il risque de produire sur les libertés publiques. Dans les semaines où on a identifié le virus, certains affirmaient la supériorité des dictatures sur les démocraties occidentales, pour ce qui est du dépistage et de la lutte contre sa propagation. Il n’en est rien. Au début, le Pangoland du Milieu a perdu au moins 5 semaines précieuses, sans doute parce que des sous-fifres régionaux craignaient les représailles de leur hiérarchie. Pour ce qui est de la suite des événements, après les mesures chinoises de confinement, rien ne permet d’affirmer que le virus ne rebondira pas et que la situation ne redeviendra pas critique .

Mais dans nos démocraties ? Les atteintes justifiées médicalement ne risquent-elle pas de s’inscrire dans la panoplie juridique de nos Etats ? Risque qui croît en proportion de la durée de nuisance du COVID-19… On se souvient de ce roi d’Asie mineure, Mithridate, qui absorbait tous les jours une dose croissante de poison pour s’immuniser contre lui : n’est-ce pas ce que les gouvernants européens, notamment français, tentent de faire ? Seront menacées ces prochaines années : la liberté de réunion, l’inviolabilité du domicile privé et du courrier, peut-être en partie la liberté d’expression.

En Allemagne, pour parler de ce grand pays de 80 millions d’habitants dont la chancelière vient de faire un discours assez fort, une loi d’exception (l’Article 17a) a été votée en 2001, pour protéger la santé publique des épidémies. Par ailleurs, l’intervention dans ce domaine est très décentralisée : elle dépend en temps normal des communes et des Länder ; et les législations présentent des différences importantes, par exemple en Thuringe ou en Saxe-Anhalt, potentiellement plutôt inquiétantes, par rapport au Bade-Wurttemberg ou à Nordrhein-Westfalen. Mais en « situation de catastrophe », le gouvernement fédéral peut prendre tous les pouvoirs en main et décider pour l’ensemble du pays. Loi votée cette fois en 1968, après maints horions et arrachages de nez dûs à la proximité temporelle des dispositions juridiques nazies.

En Allemagne comme en France, beaucoup de choses sont possibles… Pas nécessairement l’instauration d’une dictature à la Pangoland, mais quelque chose comme une synthèse de dictature et de démocratie libérale.Par l’omniprésence, grâce à divers moyens de surveillance (caméras, drones,..), d’un contrôle généralisé. Quelque chose comme une nouvelle Corée du Sud occidentale.

Une seule réponse pertinente à cela : dès aujourd’hui, non pas des utopies grandiloquentes et euphoriques comme celles qui ont fait tant de ravages dans le passé, mais une action politique et civique permanente et sans relâche.

 

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