L’addition, s’il vous plaît

La Grèce confronte l'Allemagne à la facture de la IIe Guerre Mondiale. Et cette facture n'est pas injustifiée. Il serait temps d'entendre autre chose que « Nein ! » à Berlin.

Est-ce que l'Allemagne remboursera le "crédit forcé" de 1942 ? Foto: Bundesarchiv / Bild 101I-164-0368-14A / Jesse / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(KL) – Le sujet n’est pas nouveau. Pendant la IIe Guerre Mondiale et outre les crimes de guerre horribles, l’Allemagne nazie avait pillé la Grèce, notamment la Banque Nationale,en 1942, en transférant le patrimoine de la Grèce, 476 millions de Reichsmark (ce qui correspondrait à environ 11 milliards d’euros aujourd’hui) à Berlin, sous forme d’un « crédit ». Ce « crédit » forcé n’était autre que le vol des restes du patrimoine grec. Déjà en 2015, Alexis Tsipras avait demandé le remboursement, mais le gouvernement allemand avait refusé même de discuter de cette demande. Maintenant, la Grèce réitère sa demande, après avoir pris soin d’augmenter l’ardoise jusqu’à environ 270 milliards d’euros et en menaçant de geler des fonds allemands dans les banques grecques. Manœuvre politique ? Demande sérieuse ? Il y a un peu des deux.

Historiquement, le pillage de la Grèce est incontesté. Juridiquement, la question des réparations est déjà plus compliquée. D’une part, la Grèce avait tu pendant de longues années l’histoire de sa propre résistance, car celle-ci était principalement communiste et les différents régimes d’après-guerre en Grèce, du roi à la dictature des colonels, ne parlaient quasiment pas de ce chapitre de l’histoire. De plus, les négociations internationales concernant les réparations allemandes étaient menées par les Alliés ; les « petits pays » comme la Grèce ne pouvaient y participer. Les différents traités internationaux, du Traité de Paris (1945, accordant 25 millions de dollars à la Grèce), en passant par le Traité de Londres (1953) jusqu’au Traité « 2+4 » relatif à la réunification allemande, n’ont jamais été ratifiés par la Grèce qui, par conséquent, est toujours en position de réclamer des dédommagements.

Les 278 milliards d’euros que réclame la Grèce à l’Allemagne correspondent à peu près à la somme que la Grèce a reçue comme « aides » européennes depuis 2010. Sur cette somme, seuls 9,5 milliards d’euros sont entrés dans le budget grec, le plus clair de cette somme a servi aux remboursements d’anciens crédits (plus de 80 milliards), au paiement des intérêts énormes appliqués par les banques (pour lesquelles la crise grecque était comme les six bons numéros au loto – elles pouvaient prêter à des taux fantaisie, sachant que les crédits étaient assurés par les institutions financières européennes et internationales – plus de 56 milliards d’euros) et pour « recapitaliser » les banques grecques (plus de 34 milliards d’euros). Pour avoir droit à ces « aides », qui constituaient avant tout des aides pour les banques allemandes, françaises et internationales, la Grèce a du, sous les ordres de la « Troïka » bruxelloise, vendre ses bijoux de famille, comprendre : les dernières entreprises d’Etat générant encore des bénéfices.

La Grèce n’a pas tort d’interroger l’Allemagne sur son attitude européenne et son passé. Si l’Allemagne ne peut être tenue responsable pour tous les malheurs arrivés à la Grèce depuis 1945, elle a détruit le pays, son économie, ses finances et commis des crimes de guerre terribles. Après la guerre, avec des « réparations » minimes par rapport aux dégâts subis, la Grèce avait bien plus de problèmes pour se relancer que l’Allemagne qui, devenue interface entre l’Ouest et l’Est, avait toutes les facilités pour se relancer après la guerre, aidée par les Alliés. La Grèce, elle, n’avait pas droit à son « Wirtschaftswunder ».

La situation de la Grèce, comme dans d’autres pays, était paradoxale après la IIe Guerre Mondiale. Les victimes du nazisme étaient moins bien loties que le pays des criminels nazis. La Russie et les Etats-Unis voulaient transformer la RDA et la RFA en pays témoin de leur propre supériorité et les deux super-pouvoirs investissaient dans la relance des deux Allemagnes. Et la Grèce ? Personne ne se souciait de la Grèce.

Depuis 1945, la Grèce n’a pas cessé de souffrir des agissements allemands. Il est compréhensible que la Grèce demande réparation à l’Allemagne. Puisque les crimes nazis constituent des crimes contre l’humanité et ne connaissent donc pas de délai de prescription, puisque la Grèce n’a jamais signé l’abandon de ses droits, puisque le pillage de la Banque Nationale en 1942 est reconnu, ce serait peut-être une bonne idée que Berlin commence par rembourser ce « crédit forcé » avec les intérêts.

Si certains responsables politiques allemands s’indignent en refusant de parler de ces « anciennes histoires », ils se trompent. La crise en Grèce est en partie due à une évolution moins favorable que celle de l’Allemagne depuis la IIe Guerre Mondiale. L’Histoire donne-t-elle donc raison aux criminels, en punissant une deuxième fois les victimes ?

Il serait temps que l’Allemagne se souvienne de son passé, et qu’elle rembourse la Grèce à un moment où le pays en a vraiment besoin pour pouvoir relever la tête. Un tel remboursement serait un acte européen fort et un signal que l’Europe puisse être autre chose que le distributeur automatique au service des « marchés financiers ». 77 années après que les nazis ont volé le trésor de la Grèce, un tel geste ne viendrait pas trop tôt.

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