Langage de crise

Le discours officiel, en France comme ailleurs, est marqué par un vocabulaire anxiogène. Ce n’est pas un hasard : celui qui véhicule l’idée d’une crise et menace imminente, peut se présenter comme « sauveteur »…

A force de nous marteler que nous sommes en situation de crise, les gens prennent peur. Et réclament le "sauveteur"... Foto: Eduardo Casalini / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(KL) – En Allemagne, en Bavière plus précisément, le gouvernement régional vient d’ouvrir son « Bureau pour migrants et raccompagnements » (« Amt für Migration und Rückführungen ») – un terme qui indique que le sort des migrants arrivant en Bavière, est clair. On les « raccompagne ». Comme quelqu’un qui ne sait pas se tenir en discothèque et que des videurs musclés « raccompagnent » à la sortie. En même temps, ce « raccompagnement » suggère que les migrants, dans leur totalité, représentent un danger. Mais ne nous y trompons pas  – ces « raccompagnements » ne sont rien d’autre que des expulsions.

En France, ce n’est pas différent. On n’y parle pas de la « question des migrants », mais de la « crise des migrants ». Mais quelle crise ? Le terme « crise » est actuellement utilisé à toutes les sauces. Entre la crise déclenchée par la « guerre commerciale » entre les Etats-Unis et l’Europe, la « crise d’Etat » occasionnée par un garde du corps du président violent, et la « crise des migrants », le discours politique crée cette désagréable sensation que tout va mal. Et quand tout va mal, on a besoin de quoi ? Exact : d’un leader, d’un sauveteur, de l’homme providentiel. Bref, du « sur-père » qui nous protège contre tous les maux qui semblent nous menacer. Les Erdogan, Wilders, Orban, Kurz (cette énumération est loin d’être complète, vous pouvez autant y ajouter Trump, Merkel, Macron…) constituent donc la réponse à cette question que des millions de citoyens et citoyennes angoissés se posent : « Mais qui nous sauvera de toutes ces crises ? »

Dans nos pays, il y a des sujets importants à régler, surtout dans le domaine social. Mais il faut arrêter de parler sans cesse de « crises ». « Crise migratoire » ? Les six pays qui totalisent à eux seuls 56% du PIB mondial (Etats-Unis, Chine, Russie, Allemagne, France, Grande-Bretagne) n’accueillent que 8,9% des millions et millions de réfugiés qui errent dans le monde. Difficile de parler de « crise », mais en utilisant ce terme, les populistes des temps modernes créent eux-mêmes la justification pour maltraiter (et surtout, expulser) les réfugiés.

Il convient de se méfier de ceux qui peignent tout en noir, qui nous rabâchent sans cesse que nous sommes menacés dans notre mode de vie, dans notre identité, dans notre prospérité. La seule véritable « crise » qui nous guette est celle des néo-nationalistes qui voudraient ramener l’Europe dans une configuration du 19e siècle, lorsque les petits Etats européens passaient leur temps à se faire la guerre. L’Europe est en train de virer du côté des populistes qui essayent de nous faire croire que tout est dangereux, qu’il faut se méfier du voisin et surtout, qui nous suggèrent qu’ils sont les seuls capables de nous sauver. Ils ne nous sauveront pas. Ils nous conduisent vers le même gouffre qui, au siècle dernier, a coûté environ 40 millions de victimes lors des deux grandes guerres. Si nous arrêtions de voter pour ces marchands de la peur, nous pourrions tous respirer de manière un peu plus détendue.

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