Le Journal de la guerre (2)

Le célèbre musicien et entrepreneur Dmytro Kushnir raconte la vie d'une famille ukrainienne dans cette guerre terrible. Sans filtres, sans propagande, une vie dans la guerre qui a tout chamboulé et qui continue de le faire.

Les "Loups des Steppes", Dmytro Kushnir accroupi au premier plan. Foto: privée / CC-BY 2.0

(Dmytro Kushnir) – … Notre plan de guerre était très simple.

Bien qu’on ne croyait pas à la grande guerre, on se disait bien que tout était possible, avec ce fou. Au pire, je me disais, il y aurait une escalade à l’est et une tentative des russes de récupérer tout le Donbas. Donc pas de panique, oui, mais il nous fallait un plan.

Le plan était de rester sur place, en aucun moment l’idée ne nous était venue de fuir à l’étranger. Je devais ramener la famille chez ma mère à l’ouest du pays, et en cas de besoin, encore plus à l’ouest, chez ma sœur à Lviv, à 60 km de la frontière polonaise. Il était évident que les russes n’iraient pas jusqu’à Lviv.

Il faut noter qu’avec les enfants, notre fils Anton et notre fille Yaroslava, qui avaient en ce moment-là 14 et 15 ans respectivement, on parlait des événements de manière tout à fait ouverte. Il ne servait à rien de leur cacher quoi que ce soit, ils ont l’âge de tout comprendre, et en plus ils voient tout sur les réseaux sociaux.

Une fois la famille mise en sécurité, je devais rentrer à Kyiv pour continuer à bosser et participer à l’effort de guerre. Je ne pouvais simplement pas m’imaginer rester dans un endroit tranquille, alors que de très nombreux amis à moi partaient au front ; il fallait que je fasse quelque chose pour être utile et apporter ma contribution.

Ce qui est fou, c’est que jamais on ne pouvait s’imaginer que les russes étaient capables de nous attaquer de trois côtés et que le régime autoritaire biélorusse nous mettrait un couteau dans le dos en laissant son territoire pour l’attaque russe, sur terre et en l’air.

Le 24 février au matin et encore pendant quelques bonnes semaines qui ont suivi, je n’en revenais pas de l’idée que la grande guerre a éclaté. Mon cerveau refusait de le comprendre !

Du coup j’ai un peu hésité avant de prendre la décision. J’ai dit aux enfants de se préparer au départ, mais je ne voulais pas partir de suite. J’ai fait le tour du quartier pour sentir l’ambiance… Des véhicules militaires, les premières sirènes, les gens dans les rues, concentrés et peu bavards. La plupart d’eux s’apprêtaient à quitter la ville. Et ce ciel gris foncé, tellement bas qu’on avait l’impression de le frotter avec nos têtes… Il faisait un temps parfait pour un début de la grande guerre.

J’hésitais toujours.

Ma belle-sœur nous a appelés en suggérant d’aller rejoindre leurs parents, qui habitent à 35 km de chez nous dans la direction nord-ouest, dans une maison de campagne à côté de Borodyanka. Mes beaux-parents, des personnes plutôt âgées, habitent à la sortie du village, loin de tout commerce et avec peu de voisins autour. L’idée était donc de les rejoindre, être tous ensemble, les réconforter et ensuite en fonction de la situation, prendre des décisions. C’était selon toute évidence une bonne idée, on ne pouvait pas les laisser tout seuls, surtout sachant qu’à Hostomel, à mi-chemin, il y avait déjà des combats.

Heureusement que j’avais fait le plein quelques jours avant ! Il était quasiment impossible d’avoir de l’essence le 24 février, tellement les files d’attente étaient monstrueuses.

En partant, on se disait qu’on partait pour une semaine maximum… et que ce mauvais rêve allait bientôt être terminé… on a pris nos sac-à-dos avec l’essentiel, le chat, et rien d’autre. Une paire de chaussures, une veste, un pantalon…

Un mois plus tard, quand je me suis retrouvé à Zaporijjia avec des journalistes français, les réfugiés venant de Marioupol nous racontaient que toute leur vie était rentrée dans un sac-à-dos… tout le reste – leurs maisons, voitures, entreprises, tout était parti avec le feu et la fumée des frappes des avions et de l’artillerie russe…

Mais ça, c’était plus tard.

Le 24 février après-midi, on a pris la route à travers Hostomel, Bucha, en passant à côté d’Irpin, vers notre village à côté de Borodyanka.

On ne savait pas qu’une semaine après cette banlieue de Kyiv, riche, heureuse et pittoresque, deviendrait le théâtre d’un horrible drame, avec des fusillades, tortures, meurtres de civils, fosses communes et énormément de destructions… Choses qui feront trembler d’horreur le monde entier. Les petites villes cosy de la banlieue de Kyiv dont les noms rentreront dans l’histoire militaire de l’Europe.

Ce jour-là, c’était simplement une route bouchée de voitures, la route de la première vague de fuite vers l’ouest. Une semaine plus tard, c’était la route de la mort…

A suivre. 

Dmytro est aujourd’hui bénévole de la brigade de combattants de la défense territoriale dans la région de Zaporijjia, au sud-est de l’Ukraine, nommée « Les Loups des Steppes ». La brigade se trouve sur la première ligne du front dès le 24 février 2022 et compte dans ses rangs, de nombreux vétérans de guerre, actifs depuis 2014.

Actuellement, pour subvenir à leurs besoins, ces combattants volontaires s’appuient sur des bénévoles comme Dmytro qui s’occupe de la collecte de fonds auprès des organismes et des particuliers, la recherche et la livraison de tout ce qui essentiel au quotidien des soldats : sac-à-dos, chaussures, drones, talkies-walkies, véhicules… 

Si vous souhaitez participer à l’effort de guerre et soutenir la brigade « Les Loups des Steppes, » financièrement ou en nature, ou si vous souhaitez devenir partenaire de la brigade, pour tout renseignement complémentaire veuillez contacter : 

Dmytro Kushnir (français, anglais, polonais)
saup.kushnir@gmail.com 
+380505514354 (WhatsApp, Telegram, Signal).

 

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