L’Union Européenne entre Strasbourg et Bruxelles : c’est «stop» ou «encore» ?

Alain Howiller se pose la question sur les «résultats» de la rencontre Merkel – Hollande à Strasbourg. Un bon signe pour l'Europe ? Ou au contraire, un mauvais signe ?

Angela Merkel et François Hollande sont d'accord - ça, c'est environ 16 cm... Foto: (c) Présidence de la République / C.Alix

(Par Alain Howiller) – Qui l’eût cru ? Il y a un peu plus d’un mois, ils caracolaient en tête des sondages. L’un, à Paris, dans le prolongement de sanglants attentats qui en firent le rempart de la «République française» attaquée. L’autre, à Berlin, dans foulée de dix ans de pouvoir aux succès pourtant reconnus. Et patatras les voilà, tous les deux, face à face, sur les bords de l’Ill à Strasbourg, avec une image cabossée de désamour populaire. A quelques centaines de mètres, les Strasbourgeois et leurs invités venus du monde entier fêtent sous le chapiteau du «café des amours», 10 jours de rencontres emblématique d’une Saint Valentin revisitée ! François Hollande et Angela Merkel se sont retrouvés à Strasbourg, siège du Parlement Européen dont le président Martin Schulz était, une fois de plus, l’initiateur de la rencontre.

Martin Schultz, sans aucun doute, avait à l’esprit les interventions de ses deux invités en octobre dernier dans l’hémicycle du parlement de Strasbourg. Les deux semblaient alors laisser présager une initiative pour la relance d’une Europe en crise et le Président français semblant montrer la porte aux eurosceptiques qui critiquaient vertement l’Union Européenne, avait ouvert la perspective de la création d’une assemblée parlementaire qui, en marge du Parlement de l’Union, réunirait les députés qui voudraient participer à une «Europe à deux vitesses», l’une des deux désirant renforcer ses liens et avancer vers une intégration plus forte.

Quand Hollande et Merkel plongent dans les sondages ! – Aucune proposition concrète n’a suivi et l’Union Européenne, de crise des réfugiés en «Brexit» voire en risque de «remake» de difficultés en Grèce, a continué son triste chemin vers une menace de plus en plus précise de paralysie voire de… désintégration ! Lors de leur rencontre strasbourgeoise, Merkel et Hollande ont évoqué tous ces sujets, mais rien n’a filtré sur les solutions éventuelles que les deux dirigeants «d’accord sur tout» (nous dit-on mezzo voce !) proposeront, apparemment de concert, au prochain sommet européen réuni les 18 et 19 Février à Bruxelles.

Sera-ce un sommet de plus cultivant l’ambiguïté et le ravalement de façade ou sera-ce la rencontre ouvrant enfin les portes d’un avenir efficace et prometteur ? Si rien n’est moins sûr, ce qui est certain, c’est la fragilisation des deux dirigeants vis à vis de leur opinion publique. François Hollande, avec 74% d’opinions défavorables et… 19% d’opinions favorables, retrouve des niveaux de popularité d’avant les attentats. Angela Merkel, de son côté, se retrouve avec 81% de sondés qui ne croient pas que le gouvernement maîtrise la situation provoquée par l’afflux des réfugiés, 46% d’opinions favorables (plus mauvais score depuis… 2011) et près de 40% qui souhaitent son… départ ! Du coup, si des élections devaient avoir lieu dimanche prochain, la CDU ne recueillerait plus que 34% des voix, et le parti de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ramasserait.. 12% des voix, le SPD restant stable à 24% des voix, Die Linke recueillant 10% et les Verts 9% !

Peu d’échos sur la rencontre de Strasbourg ! – Sans doute le paradoxe est-il que selon les mêmes sondages, plus de 90% des Allemands restent favorables à l’accueil de migrants chassés de leur pays par la guerre. Plus de 70% accepteraient d’accueillir aussi ceux qui sont chassés pour des motifs politiques ou religieux : il est vrai que ces sondés ne voient sans doute pas derrière cette approche l’arrivée de plus de 1 million de réfugiés et que leur opinion semble rejoindre les experts qui estiment que l’Allemagne peut accueillir sans trop de problèmes 350.000 réfugiés par an.

Toujours est-il que François Hollande comme Angela Merkel dévissent dans les sondages : au premier, homme de gauche, on reproche de mener une politique qui dérive vers la… droite, à la seconde, une majorité d’Allemands reproche de mener une politique de gauche ! (voir eurojournalist.eu du 13 Janvier, sur la «triangulation politique»). Arriveront-ils à peser suffisamment sur le sommet de Bruxelles pour faire avancer notre Union Européenne et quel cap notre «bateau ivre» européen prendra-t-il ?

A voir l’écho que la rencontre de Strasbourg a eu dans les médias, on peut légitimement s’interroger sur son résultat réel : d’autant que, motus et bouche cousue, le mini sommet strasbourgeois a été entouré de mystère. Aucune communication n’a été organisée à son issue : même les traditionnelles indiscrétions généralement distillées avec soin par les entourages ont été absentes. Est-ce un bon ou un mauvais signe ? L’entourage a, toutefois, laissé entendre que les deux dirigeants étaient d’accord avec les conclusions tirées de la rencontre entre David Cameron et Donald Tusk, le Président -polonais- du Conseil Européen, sur les moyens d’éviter une sortie de la Grande Bretagne de l’Union. Le fait que le gouvernement polonais (hostile généralement à Tusk !) ait été le premier à approuver le «plan Cameron / Tusk» ne rassure pas : bien au contraire !

Vers une Europe à géométrie variable ! – Je ne reviendrai pas non plus sur les assurances obtenues par Londres, y compris sur l’affirmation du Traité de Lisbonne que le but de l’Union Européenne est de se renforcer constamment ! (voir eurojournalist.eu du 4 février). Je reviendrai encore moins sur cet «accord» avant même qu’il ne soit discuté à Bruxelles, si ce n’est qu’il pourrait prévoir, en l’état, la fin de Schengen et de la libre circulation. Pourtant et Hollande et Merkel avaient affirmé l’intangibilité de ce principe devant le Parlement Européen, en octobre ! Pour freiner le flux des réfugiés trouvera-t-on, à Bruxelles, plus que l’appel à la Turquie, solution approuvée à Strasbourg avant que, dès le lendemain de la rencontre strasbourgeoise, Angela Merkel ne la relance à Ankara.

Strasbourg, capitale européenne, a-t-elle su relancer l’esprit européen dont on retrouvera la trace décisive à Bruxelles ? Le moteur franco-allemand a-t-il retrouvé son régime voire une vitesse de pointe ? L’avenir de l’Union est-elle dans les concessions ou dans une réforme s’appuyant sur des valeurs communes ? Celles-ci lieraient, autour d’un noyau central souhaitant plus d’intégration, des satellites liés plus ou moins «à la carte» à ce noyau. Deux députés démocrates-chrétiens (Wolfgang Schäuble et Karl Lammers) avaient, dès 1994, lancé l’idée de cette Europe à géométrie variable, à laquelle le Premier Ministre britannique conservateur de l’époque John Major avait témoigné de l’intérêt.

Shakespeare pour finir ? – Depuis, l’idée revient régulièrement sur le tapis, parfois sous la forme approchante d’un «gouvernement économique», une idée française, souvent reprise sans avoir jamais aboutie !

L’heure serait-elle venue, sous la forme d’une étincelle franco-allemande partie de Strasbourg vers «l’autre capitale européenne», Bruxelles ? Un beau bouquet pour une Saint Valentin, même fêtée avec un peu de retard ! Dans le fond peut-être que la satisfaction des revendications britanniques, si elles étaient satisfaites, seraient l’amorce -humour britannique oblige !- de cette Europe à deux vitesses à laquelle John Major trouvait de l’intérêt !

Bruxelles pourrait ainsi apporter un démenti cinglant à ce que Shakespeare, déjà, écrivait dans Macbeth : «Life is a tale full of sound and fury, told by an idiot». Il n’aurait pas du ajouter : «signifying nothing !»

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