Fariba Adelkhah – On ne naît pas hirondelle, on le devient. (1/3)

Fariba Adelkhah témoigne de son quotidien durant sa longue privation de liberté. Une période faite aussi de rencontres, et également propice à la réflexion.

En persan « hirondelle » a des sens multiples. Foto: Zeynel Cebeci / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Fariba Adelkhah) – En persan, « hirondelle » a des sens multiples. Le plus important pour notre propos, a trait à son utilisation pour désigner des femmes recrutées par les services de renseignement, et ayant pour mission de piéger une personne en vue de son arrestation, ou pour la déstabiliser politiquement. Dans ce contexte, le terme peut également être appliqué à des hommes. Le procédé est courant, dans la compétition fractionnelle, au sein du régime. Il permet de réunir les éléments nécessaires, à l’arrestation de suspects, ou propices aux règlements de comptes au détriment de rivaux politiques. On en parle beaucoup en Iran. Le cas le plus connu a impliqué un ancien ministre de la Culture du président Mohammad Khatami, surpris dans une relation extra-conjugale et contraint de se retirer de la vie politique. Un autre cas a défrayé la chronique : celui de Mitra Ostad, cinéaste et actrice, qui aurait payé de sa vie ses manœuvres autour d’un ancien ministre qui, dit-on, l’aurait abattue pour s’en libérer, alors qu’elle était devenue sa seconde épouse. Bref, qui dit aujourd’hui hirondelle suggère immédiatement renseignement, services de sécurité, manipulation politique, ingérence dans la vie privée.

Jolie King, une touriste, ou comme elle se plaisait à le répéter, a poor tourist, de nationalité australienne, arrêtée avec son mari, Mark Firkin, a finalement quitté ma cellule du quartier des Gardiens de la Révolution au bout de trois semaines, pour rejoindre la section des femmes, dans un autre bâtiment du complexe pénitentiaire d’Evin. J’ai entendu dire qu’elle n’est restée là-bas qu’un mois, et qu’elle a été libérée grâce à l’intervention du gouvernement australien. Celui-ci a été moins efficace ou moins motivé pour Kylie Moore-Gilbert qui a passé environ deux ans et trois mois, sans grand secours des autorités de son pays. En prison, partager des lieux exigus, des plats répétitifs, un quotidien morose, permet de nouer des liens affectifs avec ses codétenues. Après avoir vécu près de trois semaines avec une étrangère, que je devais consoler et dorloter au quotidien, avec laquelle je devais partager les repas, et dont je me moquais gentiment – we are poor tourists ! – en imitant son expression, ce qui la faisait sourire, j’avais fini par m’y habituer.

Elle était partie depuis une semaine quand, fidèle à mes habitudes, assise cette fois-ci dans ma nouvelle cellule trois étoiles, munie d’une douche et d’un WC, en train de lire mon « Coran généreux » (Al Qoran-al Karim), j’entendis la porte s’ouvrir. Une grande et très belle femme entra, ayant sous les bras de quoi trahir ses intentions de squatteuse : son trousseau de prisonnière, composé d’une grosse couverture de soldat, noire ou grise, de sa tenue carcérale rose – pantalon, manteau, chador de couleur – et d’un sac en plastique contenant une paire de pantoufles, un top made in China, une culotte, une petite serviette, une brosse à dents, un tube de dentifrice. Je compris qu’une autre accusée s’apprêtait à me divertir pendant un moment. En effet, la réglementation interdit en théorie, de garder une prévenue en détention provisoire plus d’un mois. On se dit bonjour, puis je m’enfonçai dans ma lecture, comme pour montrer à la gardienne accompagnatrice, debout devant la porte, que nous n’allions pas transgresser les règles carcérales, en échangeant entre nous des secrets. Ô que non !

La suite dès demain…

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