Pologne et France : un capital dilapidé ?

Pour Macron, « un tournant » à Varsovie, mais...

Un lustre à l'Université Jagellonne de Cracovie Foto: Noaska/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/3.0Poland

(Marc Chaudeur) – Actuellement, de très nombreux manifestants pestent et protestent contre les atteintes à l’état de droit en Pologne. Par ailleurs, la Pologne, en 2019, est le pays européen qui a accueilli le plus d’immigrants étrangers (Ukrainiens, Indiens, etc etc). La Pologne, ce n’est pas toujours ce qu’on pense… Faut-il vraiment craindre un Polexit, comme semblent le faire les grands dirigeants européens ? A notre sens, les motivations en seraient surtout les allégations fausses et démagogiques du PiS et, revers du gant, ce que les Polonais perçoivent comme une insupportable arrogance de « Bruxelles ». Et d’Emmanuel Macron.

Aujourd’hui, c’est Cracovie. Hier, c’était Varsovie. Hier, le président Macron a bel et bien signé avec le président Andrzej Dudak un programme de coopération, dans le cadre du « partenariat stratégique » entre France et Pologne. Et ceci malgré l’acquisition par Varsovie, voici trois jours, de beaux avion-renifleurs… américains, pourtant moins fiables que leurs homologues européens. Rebelote : en 2016, Hollande, vexé comme tout, avait rompu une triangulation naissante avec Berlin et Varsovie lorsque les Polonais s’étaient détournée de certains armements proposés.

A vrai dire, les relations franco-polonaises sont difficiles : elles circulent dans une sorte de feedback négatif, de cercle vicieux. Alors qu’il y a peu, le pays de De Gaulle jouissait d’ un immense prestige, l’appartenance commune à l’UE et l’accession du parti populo-conservateur Droit et Justice (PiS) au pouvoir a beaucoup exaspéré les différences et creusé le gap culturel.

Il faut bien voir pour commencer que la Pologne est divisée – on pourrait presque dire : en deux moitiés. Les Jagellon (modernistes et ouverts) contre Piast le Charron (la terre des chaumières où bien vivre au chaud entre soi) : voilà une histoire très ancienne… Aujourd’hui, les deux parties peu ou prou antagonistes, ce sont plutôt la vieille Pologne rurale, catholique, conservatrice, et souvent xénophobe – et la Pologne connectée/branchée, ultra-moderniste, intégrative : celle des grandes villes et du Nord Ouest, très influencé par un substrat et un voisinage allemands. Celle qui plaît aux Occidentaux.

Quand la Pologne a fait son entrée dans l’UE, elle a immensément bénéficié des fonds alloués par l’Union, et grâce au dynamisme de sa population, elle s’est développée de façon très impressionnante. Mais son histoire est différente de celle des Six, noyau initial de l’Europe institutionnelle, et sa manière de voir est souvent différente, elle aussi. Après des siècles de de dislocation du pays, de domination prussienne, autrichienne et/ou russe, puis de stalinisme, la population a un besoin profond de cohésion. Par ailleurs, les Polonais détestent qu‘on leur fasse la leçon, surtout quand cette leçon d’instituteur pédant vient d’un pays qui a largement – et durant un demi-siècle – soutenu le stalinisme et son social-impérialisme. D’un pays en déclin constant depuis le 17ème siècle, et dans son histoire récente, depuis les années 1960. La France.

Les coups de canif polonais à l’état de droit, à l’indépendance de la justice et à la liberté des médias sont on ne peut plus réels. Mais il faut absolument veiller à ce que des velléités inconsidérées (comme celle, exprimée voici deux ans par Macron, de recentrer l’Europe sur son noyau primitif de marchands de choux et de boursicoteurs) ou les discours enflammés de ceux qui ont une poutre dans l’œil (Mathieu 7. 3-5) n’éloignent pas trop radicalement ce pays important démographiquement et stratégiquement de l’Europe, qui a bien besoin de lui.

Hier et avant-hier, la presse polonaise était partagée, elle aussi : dans la Gazeta Wyborcza, plutôt à gauche, Adam Michnik, le vétéran de la lutte anti-stalinienne, exprime sa crainte profonde d’un Polexit. Dans la Rzeczpospolita plutôt à droite, la tonalité était plutôt : qu’est-ce qu’il veut ici, çui là ? Prudence donc, voire méfiance… Comme d’habitude, tous deux ont un peu raison : en somme, il faut que chacune des parties (Pologne et France/UE) y mette du sien pour intégrer réellement le pays dans l’UE.

Emmanuel Macron en est parfaitement conscient, puisque dans son discours de Varsovie et, semble-t-il, lors de ses entretiens avec Dudak, il a arrondi ses rough edges pour susurrer une version soft de tout ce qui pouvait causer embarras : l’achat d’avions américains, oh, pas grave ; les attaques incessantes du président français contre le PiS, oh ben, les circonstances ont changé, et puis, les nuisances aux droits de l’Homme, bon… Nous verrons cela aujourd’hui.

Et en effet, il faudra se rendre particulièrement attentif à ce qu’Emmanuel Macron va dire aujourd’hui à Cracovie, du haut de la chaire de l’Université Jagellonne. Macron, comme Copernic qui professait dans ces murs, aimerait fonder un nouveau monde. Mais pour ce faire, il devra d’abord jouer un rôle plus modeste : celui de cimenteur de l’unité européenne. Il semble bien l’avoir compris.

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste