Quand un syndicat chrétien, la CFTC, fête son siècle d’existence !
Alain Howiller jette un regard sur les 100 ans de la « Confédération Française des Travailleurs Chrétiens » (CFTC) – en lui souhaitant un bon anniversaire !
(Par Alain Howiller) – Dans une France où les débats sur la laïcité ne cessent de tarauder le monde politique (à défaut des Français eux-mêmes !), il est une croix chrétienne – stylisée, il est vrai, mais quand même ! – qui attire relativement peu l’attention : c’est celle qui porte le sigle de la « Confédération Française des Travailleurs Chrétiens » (CFTC). C’est, après la « Confédération Générale du Travail » (CGT), fondée en Septembre 1895, la centrale syndicale la plus ancienne puisqu’elle a été créée le 2 Novembre 1919 ! A une poignée de jours près, le syndicat a choisi de fêter, à Marseille, du 5 au 8 Novembre, son centième anniversaire !
Certes, dans un univers syndical marqué par une érosion régulière des effectifs, la CFTC se présente comme le petit Poucet du monde social : en ayant recueilli 10,90% des voix aux élections professionnelles de 2017, elle se place en cinquième (et dernière) place dans la liste des syndicats dits « représentatifs », ceux qui ont recueilli 10% au moins des suffrages dans les élections professionnelles. L’organisation se situe derrière la CFDT (qui a recueilli 30,33% des voix et se positionne désormais comme première instance syndicale), la CGT (28,56%), FO (17,93%) et la CGC (12,28%). Elle fait état de 140.000 membres, contre 134.607 en 2017 : c’est l’un des rares syndicats à avoir vu une légère progression du nombre de ses adhérents, ce qui dans l’environnement français, n’est pas négligeable.
Les fruits de la violence. – Surtout si on tient compte du fait que seuls 11% des salariés sont syndiqués en additionnant les membres des secteurs privés et publics. En 1949, le pourcentage des syndiqués était de l’ordre d’un peu plus de 30%, chiffre qui était déjà retombé à un peu plus de 19% en 2016 ! La relative faiblesse des effectifs syndiqués explique la difficulté des politiques contractuelles en France, mais aussi la violence (évidemment rien à voir avec les « gilets jaunes » et leurs partenaires plus ou moins assumés, les « black blocks ») dans laquelle plongent rapidement les conflits sociaux. Quand on n’a pas le nombre, on a rapidement recours à la violence pour gagner du terrain et stocker des points pour une future négociation…
Ce n’est pas une approche partagée par la CFTC. Celle-ci fait partie (avec notamment sa structure d’origine : la CFDT) de ceux qu’on appelle les « syndicats réformistes » qui ont renoncé à se placer dans la perspective de la « lutte des classes » chère à la CGT ou à l’un des trois syndicats non représentatifs, « l’Union Syndicale Solidaire – SUD ».
Nouveau Président élu au congrès de Marseille, Cyril Chabanier (économiste, statisticien de 46 ans qui, entre autres activités, a été arbitre de tennis !) définit ainsi l’activité de la centrale qu’il dirige désormais : « Il s’agit de rester fidèle à l’héritage en tenant le cap défendu par mes prédécesseurs : la défense des travailleurs et de leur famille, la justice et la paix sociales, l’accomplissement de la personne en se référant à la même boussole : les valeurs sociales chrétiennes. »
Un président arbitre de… tennis ! – Succédant à l’Alsacien Philippe Louis, un ancien cheminot de 63 ans, élu en 2011, Cyril Chabanier désigné pour quatre ans, considère que la « grève doit être le dernier recours ». Il veut renforcer, moderniser, féminiser le syndicat, l’ouvrir davantage aux jeunes, travailler pour un « nouveau contrat social », il entend être « un acteur constructif du dialogue social, renforcer les coopérations entre les structures du syndicat mais aussi coopérer avec ses partenaires tout en créant une nouvelle dynamique projetée dans l’avenir ». La CFTC n’entend pas être un syndicat confessionnel ouvert aux seuls croyants, tout en se référant aux valeurs chrétiennes fondatrices définies, dès 1891, dans l’encyclique « Rerum Novarum » du Pape Léon XIII.
Dans cet encyclique, le pape rappelait qu’il n’y avait pas que la « valeur travail », que le repos -notamment dominical – était nécessaire, qu’il ne fallait pas surcharger les horaires, qu’il était indispensable de ne pas faire travailler les enfants, de résister à la cupidité des possédants, éviter la concentration des richesses, verser des salaires décents, respecter le droit de se syndiquer… Est-il vraiment surprenant que ces « valeurs appartenant à la doctrine sociale de l’Eglise » puissent encore nourrir… les débats d’aujourd’hui et que l’enracinement territorial du syndicat corresponde à des secteurs géographiques de tradition religieuse ancienne dont l’Alsace, la Lorraine, l’Ile de France, le Nord-Pas de Calais, la région PACA, la Corse. Du reste, si le Président sortant était Alsacien, le nouveau président vient du Midi et son secrétaire général – Eric Heitz, 47ans, venu du syndicat de la métallurgie – est Alsacien !
Quand l’Alsace joue un grand rôle ! – L’Alsace a toujours joué un grand rôle dans la vie de la CFTC et notamment à deux reprises particulières : d’abord en 1919 et le retour de l’Alsace à la France où le syndicat chrétien issu de la période allemande a été le promoteur du syndicalisme chrétien français. En 1964 ensuite où les délégués alsaciens, en contradiction avec le mandat reçu de leur base, ont participé de manière décisive à la majorité qui décidera de la « déconfessionnalisation » de la CFTC qui deviendra « Confédération Française Démocratique du Travail – CFDT ». Une partie des délégués alsaciens décidera alors de rompre avec la nouvelle approche et créera la « CFTC- maintenue », engageant ainsi un long combat de légitimité entre CFDT et CFTC-maintenue. (Voir pages 161 et suivantes dans mon ouvrage « Mémoires de Midi – Les mutations de l’Alsace », Editions Koufra/Nuée Bleue – 1993). Le combat pour savoir qui était le véritable héritier du syndicat cessera en 1971. La « CFTC- maintenue » trouvera une légitimité en s’affirmant et en abandonnant le terme de « maintenue », la CFDT trouvera la sienne propre, en renonçant notamment la lutte des classes !
Et voilà que la CFTC fête son siècle d’existence à Marseille, qui n’était pas spontanément le lieu où on se serait attendu à voir s’affirmer de manière festive le syndicat aux références chrétiennes. Il est vrai que le nouveau président veut changer le syndicalisme et, selon ses propos (Le Monde du 15 Novembre) « donner un nouveau souffle à la CFTC pour qu’elle attire vers elle une nouvelle génération de militants qui, à leur tour, construiront la CFTC de demain… On ne veut plus attacher une personne au syndicat. On veut attacher le syndicat à la personne… (nous voulons voguer…) avec une boussole qui peut être partagée par tous, croyants ou non, ce n’est pas le problème… Les valeurs chrétiennes c’est notre différence par rapport aux autres syndicats… On peut être extrêmement moderne tout en ayant des valeurs fortes ».
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