(Summer special 2022) – Russie-Ukraine : une guerre de religion aussi ?

Alain Howiller sur le soutien du patriarche Kyrill pour la guerre menée par la Russie - et qui se transforme de plus en plus aussi en guerre des religions.

Le Patriarche Kyrill, grand fan de Poutine et grand fan de la guerre. Foto: Kremlin.ru / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

L’un des derniers articles de notre feu éditorialiste Alain Howiller, qui, déjà an Avril, voyait la dimension religieuse de la guerre que la Russie a infligé à l’Ukraine. Alain Howiller nous manque tous les jours… 

(Alain Howiller) – On pensait l’avoir enterrée, dans les archives de l’Histoire, même si, finalement (qui s’en souvient !) le « Gott mit Uns » (Dieu avec nous), la fière devise militaire de la « Maison Royale de Prusse » et des Hohenzollern figurait encore sur la boucle des ceinturons de la… Bundeswehr (!) jusqu’en 1962 ! Mais la devise sentait le rance des guerres d’antan.

Et voilà que, complices et amis comme jamais, Vladimir Poutine et Kyrill, le patriarche de « Moscou et de toutes les Russies », se retrouvent pour un office en plein air de la vigile pascale devant la Cathédrale du Christ Sauveur. L’église, siège du patriarcat, avait été détruite sous Staline et reconstruite entre 1995 et 2000 : elle avait été construite pour commémorer les victoires de la Russie sur Napoléon Ier !

Quand on bénit les… régiments ! – Un cadre symbolique, idéal pour évoquer la guerre en Ukraine dont le Président russe et le patriarche souhaitent la fin prochaine, sans pour autant la condamner ! Comment d’ailleurs Kyrill, qui avait déjà repris la pratique héritée du temps des tsars de bénir les régiments, pourrait-il la condamner, alors qu’il avait cautionné d’entrée de jeu l’action de Vladimir Poutine, considérée comme une sorte de croisade de l’orthodoxie : « Notre peuple doit se réveiller », avait-il souligné, « et comprendre qu’un moment particulier est venu dont dépendra notre destin historique !… »

Saluant « l’unité spirituelle des peuples russe et ukrainien », le patriarche dont le pape François attendait en vain une démarche commune pour la paix, avait rappelé qu’il s’agissait, en l’occurrence, d’un seul et même peuple ! Dans la foulée de ces déclarations sans équivoque, évêques et prêtres orthodoxes russes, après avoir hésité, apportent aujourd’hui un soutien croissant à leur patriarche et au Président de la Fédération de Russie. Et ce, malgré les massacres découverts au fil des dernières semaines !

Tous derrière Poutine !… – Le Monde, l’un des (trop) rares quotidiens qui suive cette évolution « religieuse » d’un conflit qui, au-delà de ses aspects génocidaires, tourne à la guerre de religion, cite le métropolite Serge du diocèse de Voronej (frontalier de l’Ukraine) qui déclare dans une interview : « ce qu’il se passe actuellement, n’est pas un conflit entre l’Ukraine et la Russie, c’est le déferlement de la grande apostasie de peuples entiers qui se détournent de Dieu ! C’est l’œuvre de l’ennemi du genre humain. C’est pourquoi (ils doivent tous soutenir [leur] président et son action ! » Etonnant et en référence à ces propos, des milliers de gens désespérés meurent tous les jours : pour reprendre la triste et sanguinaire formule de l’abbé de Citeaux invitant à éliminer les hérétiques Cathares, « Dieu reconnaîtra les siens ! »

Alors que Kyrill soutient l’offensive russe « contre les forces du mal…, au risque de diviser le peuple », l’église orthodoxe ukrainienne se lève évidemment et la mise en cause de l’autorité hiérarchique et théologique du patriarcat de Moscou au profit du… patriarcat de Constantinople s’étend. Un synode de l’église ukrainienne avait, déjà, obtenu du patriarcat de Constantinople, une distanciation du lien avec Moscou : mais beaucoup de paroisses, aujourd’hui engagées contre les envahisseurs russes, continuaient à se réclamer de Kyrill. La plupart ont brisé ce lien et ne citent plus, contrairement à la tradition, le patriarche moscovite dans la liturgie. Le schisme s’impose et la guerre de religion s’installe dans le sillage des tanks ! L’invasion prend ainsi une autre dimension dont on a peu conscience sur le continent américain ou même européen !

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