Strasbourg à l’heure de la lutte contre le discours de haine sur internet

Lors d'un symposium dédié à la lutte contre les discours de haine sur Internet, les participants ont élaboré les premières pistes permettant d'agir contre ce danger technologique.

Les jeunes (et les moins jeunes) rêvent d'un Internet sans haine et discrimination. Foto: Loïc Littmann-Louvet / Eurojournalist(e)

(Texte et photos Loïc Littmann-Louvet) – Rappelons-nous de Luka Rocco Magnota, diffusant sur Youtube une vidéo le montrant dévorer et mutiler le corps d’un étudiant chinois, l’ironie du sort voulut qu’il finisse arrêté à Berlin… dans un cyber-café. «Le tueur d’internet» est symptomatique d’un malaise de la technologie inhérent à notre époque. Internet, un exutoire, un espace où nos pulsions de voyeurisme et d’exhibition peuvent trouver cours, mais également un espace de diffusion de masse que certains groupes terroristes comme Al-qaida ont su exploiter. Plus récemment c’était le cas de Daesh et de ses vidéos de décapitations. Il n’aura échappé à personne que le nombre de jeunes français ayant succombés aux sirènes du Jihad est élevé. Trop. Le gouvernement estime qu’à la fin de l’année, ils seront le double à être partis, 10 000…

Ces jeunes sont principalement recrutés sur internet, une autoroute, un «far-west» pour Gilles Winckler, Président de la LICRA Bas-Rhin qui défend un encadrement plus strict de cet outil, mais qui doit rester un lieu d’expression et de libertés. La question est complexe, d’autant plus à l’heure ou le débat fait rage entre protection de la vie privée et surveillance de masse.

Le 17 Avril dernier à Créteil (Val-de-Marne), Manuel Valls présentait une série de 40 mesures destinées à «sanctionner chaque acte raciste ou antisémite» et à «former les citoyens par l’éducation et la culture pour protéger les utilisateurs d’internet de la propagation de la haine». C’est dans ce même ordre d’idée que la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), avec les conférences des OING du Conseil de l’Europe, a décidé d’organiser à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, un symposium de trois jours destiné non seulement à lutter contre le discours de haine, mais également à y apporter des solutions concrètes. Un processus en 3 temps rassemblant collégiens et lycéens, universitaires, responsables d’ONG, avocats et chercheurs.

Analyser – «Les jeunes ont énormément à nous apprendre», dit Gilles Bloch, militant à la LICRA et responsable de la commission Europe. Ayant grandi avec «Instagram» et autres «Snapchat», des termes ne parlant peut être pas aux plus âgés, il était évident que ce serait aux jeunes de mettre leurs aînés à la page. C’est lors d’«Open class» et d’ateliers qu’ils ont pu débattre sur de nombreuses questions. Egalité hommes-femmes, racisme et harcèlement sur les réseaux sociaux etc.

«Pas de Turcs, pas de Kebab !» pouvait–on entendre, nos jeunes considèrent-ils naturellement la différence comme une source de richesse et d’enrichissement mutuel ? Il semblerait que oui, pour une majorité. La France «Blacks-Blancs-Beurs» avec tout ce qu’elle a de meilleur ! Mais alors où le bât blesse-t-il ? Le courage. Se manifester et dire «je ne suis pas d’accord», la dynamique de groupe incite le plus souvent à se taire et malgré soi, devenir complice.

L’après-midi de cette première journée du symposium était réservée aux lycéens. Ceux-ci évoquaient en grand nombre le même souci que leurs cadets, la dynamique de groupe et ses effets pervers. Un point que les éducateurs devront sans doute considérer avec un autre regard. En deuxième partie, un atelier permettait aux élèves d’attaquer et de protéger un site internet. Le premier groupe postait des commentaires haineux, alors que le deuxième groupe les contre-attaquait. Une sensibilisation active à la question de la modération et surtout à la responsabilité de ses paroles. Et oui. C’est de ça dont il était question, faire réfléchir sur le sentiment d’impunité induit par l’anonymat. Les militants de la LICRA espèrent à terme vivre sur un internet ou «aucune parole que l’on n’oserait prononcer dans la rue ne soit prononcée sur le net».

Réfléchir – La deuxième journée du symposium rassemblait un panel d’experts qui ont pu amener une réflexion lors de conférences portant sur des questions allant de «l’origine du discours de haine en Europe» au «Discours, contre-discours, actions et réactions». Mais, si l’on devait retenir quelque chose de cette journée, c’était la présence des responsables communication de Twitter et Facebook. Patricia Cartes (Twitter) et Anton’Maria Battesti (Facebook) ont réaffirmé tous deux leur engagement à contrer le discours de haine pour offrir un service sur à leurs usagers, notamment aux plus jeunes et vulnérables. A vrai dire, leur présence était plus que nécessaire car cette position qui est la leur, n’était pas claire pour tout le monde. De nombreuses personnes dans la salle avaient effectivement déjà signalé du contenu à caractère haineux qui était resté sans suite.

Silvio Phillipe, un jeune étudiant de Sciences Po Strasbourg, interpellait Monsieur Battesti sur un cas, screenshot à l’appui. A «j’encu** l’islam», Facebook laissait faire, car Facebook «ne peut intervenir sur les religions». Selon Anton’Maria Battesti, s’il avait été question de «j’encu** les musulmans», Facebook aurait pu intervenir. Il y a apparemment une distinction entre religion et communauté ethnique. Bizarre. Espérons que la présence de ces officiels ne soit pas qu’un geste politique désuet, mais que ces paroles se traduisent par des actes concrets, car, étant prestataires de services, ils se retrouvent en toute première ligne et il leur incombe une grande responsabilité. Une responsabilité qui au sens de beaucoup de monde, dépasse la simple modération de contenu.

La journée se terminait par une allocution de Barbara John, Vice-Présidente de la Commission Européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), qui clôturait cette journée en évoquant l’avenir de l’internet et des réseaux sociaux en Europe. Une allocution soulignant l’importance de l’action menée car si «un couteau peut tuer une personne, un discours haineux peut anéantir tout un peuple»…

Agir – Redda Didi, délégué interministériel adjoint à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, confiait au terme de la deuxième journée qu’il ne «fallait surtout pas lâcher». Il s’agit en effet, de trouver une frontière assurant le respect de la vie privée compatible avec la sécurité. Si les révélations d’Edward Snowden ont fait l’effet d’une bombe, il faudra maintenant un élan citoyen global pour trouver une solution. Autrement, d’autres dérives seront encore à prévoir, dernière en date, le BND allemand qui espionnait sans vergogne ses voisins européens pour le compte de la NSA… La tentation sécuritaire est dangereuse, Benjamin Franklin ne disait–il pas qu’«un peuple capable de sacrifier un peu de sa liberté pour davantage de sécurité, ne mérite ni l’un ni l’autre et, à terme, il serait condamné à perdre les deux» ?

Il aurait été naïf de penser que ce symposium aurait pu amener une solution toute faite pour contrer le problème du discours de haine sur internet, cependant, c’est par ces actions citoyennes engagées que les solutions se trouvent. Ces trois journées ont pu amener certaines pistes de réflexions, réaffirmer le rôle des grosses firmes de l’internet et susciter de l’intérêt auprès des citoyens venus nombreux. Mission accomplie !

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