Une « Collectivité Européenne d’Alsace » qui ne va pas de soi !

Les Alsaciens sont des gens compliqués…

Est-ce que Madame la Ministre Gourault a vraiment pris la mesure du "désir d'Alsace" ? Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(Alain Howiller) – Face à la naissance de la nouvelle « Collectivité Européenne d’Alsace » (C.E.A.) dernier avatar de la mise en œuvre par le gouvernement du « désir d’Alsace », ce désir d’Alsace qui taraude les Alsaciens depuis que leur région a été intégrée dans le « Grand Est ». Ils sont plus rares, ceux qui se rappellent ce propos de Louis XIV disant à ses ministres : « Ne touchez pas aux choses d’Alsace ». Pour beaucoup, le propos est apocryphe, tout comme l’était sans doute cette déclaration qu’on prête au Roi Soleil franchissant les Vosges et découvrant la plaine d’Alsace : « Quel beau jardin !… »

Evidemment cela tranche avec l’humour douteux dont avait fait preuve le Président François Hollande, auteur du regroupement des 22 régions en 13 grandes régions, l’Alsace se retrouvant embrigadée à partir du 1er Janvier 2016, dans un ensemble « Grand Est » avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne. Interpellé par des élus qui souhaitaient que l’Alsace retrouve une identité et une visibilité propres, François Hollande croit s’en sortir par cette boutade : « L’Alsace ? Mais l’Alsace n’existe plus ! »

Les Alsaciens pour une sortie du Grand Est – Et les Alsaciens d’essayer de démontrer le… contraire. Ils réussiront, sondages à l’appui, à convaincre le gouvernement -Président de la République et Premier Ministre en tête- que, d’une manière ou d’une autre, le « désir d’Alsace » de la population devrait être pris en compte. Ce sera fait lors du Conseil des Ministres du 28 février qui adopte le projet de loi créant la « Collectivité Européenne d’Alsace ». Pour ceux qui voyaient dans le sigle de la nouvelle collectivité une sorte de rappel historique à une autre appellation qui fut naguère signe de dynamisme et de futur (1), le projet évoque une renaissance institutionnelle de l’Alsace à travers la fusion des deux conseils départementaux qui sollicitaient une démarche identitaire ; pour d’autres, ce n’est que la fusion des deux départements du Rhin avec la reprise des prérogatives départementales sans apports financiers de la part des services de l’Etat, pour d’autres encore le projet (2) est une étape qui devrait évoluer vers une plus grande autonomie régionale avec la perspective d’une sortie du « Grand Est » souhaitée, selon un nouveau sondage de l’IFOP par 66% des Alsaciens alors que 85% d’entre eux voudraient que la question soit tranchée par référendum !

C’est notamment l’espoir nourri par un nouveau mouvement, le « Mouvement Pour l’Alsace – M.P.A. » piloté par le sénateur bas-rhinois André Reichardt. Le MPA veut une région à part entière : s’il devait se contenter de la collectivité proposée, ce ne serait qu’à titre transitoire en attendant une sortie du Grand Est avec des pouvoirs élargis. Bref, ses soutiens voudraient que l’Alsace redevienne une entité, une région à part, alors que les pouvoirs publics entendent que la C.E.A., tout en bénéficiant de compétences nouvelles (en matière de bilinguisme, de coopération transfrontalière, de mobilité), ne soit pas une région à « statut spécial » mais une collectivité issue de la fusion des deux départements et disposant de compétences particulières. Bref, il s’agit de reconnaître à l’Alsace un « droit à la différenciation » sans pour autant toucher (2) aux spécificités de la Région du Grand Est qui coordonnera et négociera des transferts de compétences qui se feront dans le cadre « région qui ne lâche rien » d’après son Président ! Ambiance…

La fin, du… « en même temps » ? – A-t-on touché la limite du fameux paradigme présidentiel du « en même temps » ? Quelles solutions se dégageront alors du débat (notamment parlementaire) ? Le gouvernement acceptera-t-il des amendements ? (C’est douteux, car il s’agira d’éviter des précédents transposables ailleurs). La mise en œuvre du projet de loi risque fort de ne pas être un « long fleuve tranquille !… » Consulté selon la procédure habituelle, le Conseil d’Etat a émis des réserves : d’abord sur l’appellation de « Collectivité européenne d’Alsace » qui prêterait à confusion, estime le Conseil qui préférerait qu’on appelle le CEA « Département d’Alsace »(!), sur plusieurs dispositions ensuite (exemple : la possibilité de recruter des enseignants d’allemand en complément, la coordination en matière de tourisme, etc.) qui seraient déjà attribuées à d’autres collectivités à qui certaines attributions ont déjà été confiées (à la Région par exemple).

Le gouvernement a décidé de passer outre à ces remarques et de transmettre le projet au Parlement. Le Sénat devrait en débattre dès le 2 avril… Les débats risquent d’être chauds : ils prennent toujours des virages particuliers lorsqu’il s’agit de l’Alsace. C’est à l’Assemblée que l’ancien Premier Ministre Manuel Valls candidat aujourd’hui à la mairie de de…Barcelone ! – avait fait sa sortie sur « Il n’y a pas de peuple alsacien, il n’y a qu’un peuple français ». C’est ici aussi qu’un député tombé dans l’anonymat depuis avait lancé : « Il est temps que les Alsaciens sachent qu’on n’est plus au temps de… Bismarck ! »

La fusion des « länder » en Allemagne. – Les débats seront également intéressants parce que le texte de loi adopté pourrait donner des envies à d’autres régions : y compris à la Champagne-Ardenne ou à la Lorraine, membres du… Grand Est ! Mais intéressants aussi parce que l’opposition pourrait se saisir de la loi pour soumettre au Conseil Constitutionnel une « QPC » (« Question prioritaire de constitutionnalité ») pour analyser la conformité du texte avec la Constitution. Le gouvernement s’est déclaré « serein » devant cette perspective, mais il ne peut ignorer que le non-respect de l’avis du Conseil d’Etat pourrait étayer des recours en justice !

Sans compter la réaction lors de prochaines élections de ceux qui voulaient -à l’image de la Corse ou de la Bretagne- une région de plein exercice, hors du Grand Est. Il faudra effectivement, avant la mise en place d’ici au 1er Janvier 2021, « faire preuve de beaucoup de pédagogie », comme le soulignait Vincent Thiebaut, député bas-rhinois de « La République en Marche » ! Pas sûr que cela suffise, même s’il fallait, pour reprendre le propos de Jacqueline Gourault, Ministre de la Cohésion des territoires, chargée du projet de C.E.A., « montrer qu’un processus est engagé, avec les Alsaciens, à partir de la volonté alsacienne. » Convaincre, plaider, mettre en place tout en évitant une… nouvelle usine à gaz tout en dépassant les querelles d’ego dont raffolent les dirigeants alsaciens ! On comprend mieux en se penchant sur le projet de C.E.A., pourquoi les dirigeants allemands se gardent de sortir des tiroirs le projet (relancé sans succès en 2014 par… Annegrete Kramp-Karrenbauer, alors ministre-présidente de la Sarre) de fusion des « Länder » dont l’objectif était de ramener le nombre des régions allemandes à 6 ou 8.

(1) Allusion au « Commissariat à l’Energie Atomique – C.E.A. » créé par le général de Gaulle pour doter la France de l’arme atomique.

(2) Voir eurojournalist.eu du 25 février 2019.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste