A propos du « Nouveau Pouvoir » de Régis Debray

Marc Chaudeur a lu pour nous le « Nouveau Pouvoir » de Régis Debray (Editions du Cerf, 2017).

Le "Nouveau Pouvoir" de Régis Debray est une analyse du macronisme et de ses mécanismes. Foto: Marc Chaudeur

(Par Marc Chaudeur) – Régis DEBRAY a mitonné et vient de publier un nouveau petit pot de confiture douce-amère où se mêlent allègrement analyse socio-politique, point de vue subjectif (et nostalgique) et jugement moral. Conforme aux lois du genre pamphlet, ce mélange bien français ? En partie, seulement.

L’objet en est le substrat culturel du « nouveau pouvoir », celui d’Emmanuel Macron, devenu Président de la République au printemps dernier. Ce Président et son gouvernement manifestent par leurs idées et leurs actions les linéaments essentiels de la France contemporaine : ce qu’elle est devenue, au bout d’une évolution qui sans doute, commence dans les années 1980.

La constatation de l’état de la France a été faite maintes fois. Debray en est sans doute l’observateur le plus aigu et le plus ironique, avec une pointe de perfidie intellectuelle à la fois évidente et subliminale.

Victoire du jeunisme, observe-t-il; victoire de l’immanence absolue, de l’image sur l’écrit. Victoire de la « société civile » (le système des besoins, comme la définit Hegel) sur l’ action politique et la transcendance. Le contrat l’emporte sur la loi : et cela, bien sûr, pour mieux asseoir le pouvoir des puissants sur les dominés. L’horizontalité quasi-obsessionnelle qui nous gouverne n’est cependant pas synonyme, pour Debray, de désenchantement, bien au contraire. Les jeunes gens d’aujourd’hui ont leurs héros sans peur et sans reproche : Bill Gates, Steve Jobs, Mark Zuckerberg, … héros d’une nouvelle épopée qui sauveront l’humanité en péril, croient aujourd’hui geeks acnéiques et managers cosmiques.

Horizontalité et obsession de la transparence : voilà, parmi d’autres, des traits culturels bien protestants, qui se sont infiltrés avec discrétion et sournoisement dans la culture française pour en transformer les racines mêmes. Quelques années après que la tache bleue sur la robe de Monica a envahi les médias et les fantasmes états-uniens, le Grand Médiologue retrace la généalogie de cette infusion parpaillote: le péche originel, le libre examen überall, le rapport anxieux à l’élection divine (relire Weber)… Et voilà que ressurgit la filiation Allemagne-Etats-Unis : le thaler devient dollar comme par enchantement, la silhouette de Panthère rose d’Obama se fond, à Berlin, dans celle un peu différente d’Angela Merkel pour la célébration de la Réforme, en 2017.

La transparence ? Une illusion, bien sûr ! Elle conduit, en définitive, chacun des acteurs du pouvoir à jouer le jeu de l’irréprochabilité absolue, quitte à verser dans la contorsion ridicule et la perversion. Florence monte à Stockholm, écrit Debray : oui, mais les Français ne sont pas des Suédois, oh non. Hélas? Non.

Les effets de cette infiltration néo-protestante sont patents, écrit Debray : apothéose du marché, pluralisme, déculturation de la jeunesse (ah, la « sainte ignorance » que préconisent certains auteurs religieux !), l’horizontalité médiatique, et, oh perfidie, la place de la femme dans la société ! Debray semble regretter que le mari de la femme-pasteur fasse la vaisselle et lange les deux bébés (les pasteurs n’ont guère plus de deux bébés,comme on sait). Ah, cher Régis !

Nostalgie de la belle époque du journal, de la pipe et du fauteuil! Enfin, Debray expose la pensée du philosophe emblématique de cette ère Macron qui ne fait que s’ouvrir : celle de Paul Ricoeur. C’est le chapitre le plus faible du livre, hélas ! Lancé dans sa course intersidérale de pamphlétaire médiatique, l’auteur opère une série groupée de confusions qui n’aident guère à comprendre les fondements du macronisme : la confiture devient ici une marmelade où se mêlent des couples indifférenciés : symbole-symbolique, symbolique-imaginaire, exégèse-herméneutique. Reste une évocation brillante du wishful thinking et de l’irénisme pseudo-naïf qu’induit Ricoeur dans l’idéologie politique de notre (?) Président. A lire !

En définitive, Régis Debray est partisan de l’enracinement; il est nostalgique d’une France terrienne, unanimiste (au moins de façade), catho-socialiste. C’est bien; mais nous gardons, pour notre part, des souvenirs assez pénibles de l’époque bénie où 20% des Français cultivaient la terre, où la population se rendait majoritairement à l’église le dimanche matin, quitte à en ressortir dix minutes plus tard pour aller ingurgiter le riesling consensuel ou siroter le pastis de la querelle dominicale. Nos souvenirs s’engluent dans une lourde grisaille, une sourde angoisse, une austérité lente, silencieuse et ultra-conformiste, celle des années De Gaulle et Pompidou. A vrai dire, la multitude a éprouvé un bonheur intense à trouver enfin les moyens de se libérer de la glèbe. Certes, multitude n’est pas référence; mais qu’en est-il du bien-vivre, sinon du bonheur, de millions d’êtres humains, de la multiplication réelle (et non pas seulement virtuelle) de leurs possibilités de vie ? C’est particulièrement vrai pour les femmes, précisément…

Par ailleurs, que le Grand Médiologue se rassure : si la France se trouve américanisée et germanisée, l’Allemagne en revanche se francise toujours davantage. Nous en faisons la constatation quasi-quotidiennement : les Allemands n’appellent plus le Samu quand la voisine fait du Gi Qong dans son jardin ; ils arrivent en retard quand les nécessités (de la vie amoureuse, les vraies nécessités donc) l’exigent. Ils comprennent toujours mieux et plus que la vie, c’est la vie, rien moins. Les Américains, je ne sais pas.

Régis DEBRAY, Le Nouveau Pouvoir, Editions du Cerf.
(Publié d’abord dans la revue Medium n° 52-53, été-automne 2017).

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