Covid-19 : ces morts qu’il ne faudrait pas oublier

Alain Howiller commente les chiffres actuels concernant la surmortalité due à la pandémie du Covid-19. Un appel à la prudence.

Lorsque les services des pompes funèbres tournent 24/24, il y a de quoi se poser des questions. Foto: Husky / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

 (Alain Howiller) – Quand à l’image de ce qui s’est passé en Allemagne, dont le Président Frank-Walter Steinmeier a présidé un hommage aux victimes de la Covid-19, la France, si attachée aux cérémonies mémorielles, organisera-t-elle, à son tour, une cérémonie en souvenir des plus de 100.000 morts décédés du coronavirus ? Alors que l’espoir de se sortir de la pandémie s’accroit, il ne sera pas indécent -et encore moins incongru- de dresser ce bilan qui permettra de prendre réellement conscience de l’ampleur des dégâts provoqués par la crise sanitaire.

« En 2020, le nombre de décès a augmenté de 7,3% en France », souligne le démographe Hervé Le Bras, directeur d’études à « l’Institut National d’Etudes Démographiques-INED » qui poursuit : « Les personnes les plus âgées ont été particulièrement frappées par l’épidémie du Covid-19. Selon l’INSEE, au cours de la deuxième vague, la mortalité a augmenté de 19% entre Septembre 2020 et Janvier 2021, pour celles qui sont âgées de plus de 75 ans. Selon « Santé Publique France », le site officiel du Ministère, de la mi-Mars 2020 à la mi-Janvier 2021, 59% des personnes décédées pour cause de Covid-19, étaient âgées de plus de 80 ans, alors que cette classe d’âge ne représente que 6% de la population totale. Ces données ont pesé dans les décisions prises par le gouvernement pour combattre l’épidémie. »

Décès : il n’y avait pas que des personnes âgées. – Le constat, certes, était attendu, mais assénée ainsi par un scientifique de renom, la réalité des chiffres a quelque chose de glaçant, même si le démographe, s’appuyant sur des comparaisons (…qui ne valent pas raison !) avec des statistiques portant sur des années de « mortalité normale » (hors pandémie), constate : « … En 2018, dernière année disponible, 61% (des décès) provenant de personnes de plus de 80%, soit à 2% près, la proportion des personnes âgées parmi les décédés du Covid-19 qui vient d’être citée. Le Covid-19 ne discrimine donc pas plus les personnes âgées que ne le font les causes habituelles de mortalité… » Ce qui revient à dire que les morts du Covid n’ont pas seulement été des personnes âgées : des chiffres qui valent avertissement !!

Ce qui revient à mettre en garde ceux qui, dans l’euphorie d’un déconfinement généralisé qui s’esquisse, oublieraient le prix qu’ils auraient à payer si, à cause de leur imprudence, la crise sanitaire devait rebondir. Comme le rappelle (tout de même !) Hervé Le Bras : « …Si la surmortalité des personnes âgées n’est pas caractéristique de l’épidémie en France, la hausse générale de la mortalité causée par le Covid-19 reste inquiétante. » Une inquiétude que vient nourrir à son tour, cette étude de l’INSEE-Grand Est intitulée : « Surmortalité dans le Grand Est de Mars 2020 à Mars 2021 : la deuxième vague moins meurtrière que la première. »(2)

La situation dans le Grand Est. – « Sur l’année écoulée, de Mars 2020 à Mars 2021, l’excès de mortalité dans le Grand Est a atteint 18,2% par rapport aux cinq années précédentes », relève d’emblée l’étude de l’INSEE qui poursuit : « Cette surmortalité a été importante pendant les deux vagues épidémiques dues au Covid-19… Ces deux épisodes ont particulièrement touché les plus de 70 ans avec une majorité de plus de 80 ans, surtout ceux vivant en institution. Les moins de 60 ans ont été peu affectés. »

L’excès de mortalité concerne davantage les hommes que les femmes. La densité de population des communes ainsi que le nombre moyen de personnes par logement semblent jouer un rôle dans cette surmortalité. « L’importance de la progression relevée, place le Grand Est en troisième position derrière l’île de France (+22,5%) et la région Auvergne-Rhône-Alpes (+20,1%) !

L’impact du Covid a été plus fort que celui relevé en moyenne nationale, lors de la première vague : il a été conforme à la moyenne du pays lors de la deuxième vague. Sur l’année prise en compte par l’INSEE, l’excès de mortalité a été de +26% dans le Haut-Rhin et de +16% dans le Bas-Rhin. C’est durant la première période de la crise sanitaire -et plus précisément en Mars 2020- que la surmortalité a été a été la plus forte dans le Haut-Rhin : elle a été de 2,5 fois supérieure à la moyenne des décès enregistrée lors des cinq dernières années !

Attention au vent de la liberté retrouvée. – Confirmant la tendance enregistrée au plan national, c’est dans les établissements pour personnes âgées du Grand Est que la surmortalité a été la plus forte : nul ne sera surpris que c’est la classe d’âge des 80 ans ou plus qui a payé le plus lourd tribut (deux tiers de la surmortalité) à la pandémie, devant la tranche des 70/79 ans.

Des données qui attirent d’autant plus l’attention que la plupart de nos pays (France, Allemagne, Italie notamment) ont à faire face au vieillissement de leur population que des phénomènes exceptionnels, tels que la grippe, le Covid ou …les canicules fragilisent particulièrement. Peut-on demander à la population émoustillée par un vent de liberté, compréhensible mais potentiellement dangereux en cas de rebond de la pandémie, de méditer ces chiffres ?

La loi « Grand âge/autonomie » en panne ? – Par ailleurs, comme le rappelle Luc Broussy, ancien conseiller général (socialiste) du Val d’Oise, Président de l’association « Filière Nationale Silver Economie », chargé en Décembre dernier par le gouvernement d’un rapport sur « l’Adaptation de la société française au vieillissement de sa population », le vieillissement de la population progresse inexorablement, devient « vague grise ». Cette évolution de la société devrait faire l’objet d’une approche globale de la part des pouvoirs publics, affirme Luc Broussy.

Pourtant, alors que les rapports et les études se multiplient sur cet aspect de la société, le projet de loi « grand âge et autonomie » semble s’être perdu dans les couloirs des ministères. Une telle loi faisait partie des engagements de campagne d’Emmanuel Macron. Y a-t-il encore un espoir pour que ce projet reprenne vie cet automne, pour être appliqué, comme certains le pensent, dès 2022 ?

(1) Sur BFM-TV et dans « Le Monde » du 9.02.2021.

(2) INSEE Analyses Grand Est. – N° 133. – Mai 2021.

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