De la résilience à l’adaptation

Le concept de résilience tendrait, à plus forte raison au décours de la Covid-crise, à céder la place à celui d’adaptation.

Christian Clot, bivouaquant dans la Cordillère des Andes. Foto: Christian Clot / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Concept popularisé par le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik à la charnière des 20e et 21e siècles, la résilience est devenue une sorte de mot fourre-tout, produit de consommation courante diffusé par la grande distribution médiatique et cuisiné à toutes les sauces. Inspirée de la physique, où elle caractérise la capacité d’un matériau à retrouver sa forme initiale après une contrainte ou un choc, appliquée par les Anglo-Saxons aux sciences humaines dans la première moitié du 20e siècle, cette théorie table sur les capacités de l’être humain à vivre et à se développer, malgré une forte adversité ou un important traumatisme, voire même une situation extrême dont l’issue peut s’avérer fatale.

Dans une société où l’hyper-compétitivité génère une hyper-concurrence, et où l’hyper-connexion donne un sentiment d’hyper-puissance, la résilience peut apparaître comme un remède, mais aussi comme une injonction. Or, les mécanismes de défense qui lui sont nécessaires, n’ont pas que des effets positifs. L’humour, et à plus forte raison l’autodérision, peuvent devenir de formidables leviers dans des situations de crise. Mais il n’en va pas de même pour le déni occultant ou banalisant la gravité du réel, et pour le clivage faisant coexister dans la même personne, un moi socialement accepté avec un « moi secret ». Ce qui pourrait dans les deux cas, se qualifier « d’ersatz de schizophrénie ».

Aujourd’hui, il semblerait bien que ce concept de résilience fasse long feu. Son emploi à tort et à travers, mais aussi à contre-emploi, n’y est pas étranger. L’explorateur et chercheur suisse Christian Clot, qui dans ses expéditions a beaucoup travaillé sur l’adaptation, est convaincu de la nécessité d’abandonner à son profit, le concept de résilience. Ce dernier ne s’appliquant pas aux groupes, mais aux seuls individus, et se basant sur le retour à l’état initial après un choc ou une crise, il ne lui semble plus adapté au monde dans lequel nous vivons. En effet, dans certaines circonstances, le retour à l’état initial n’a rien de souhaitable, et peut même s’avérer impossible.

Proposant l’adaptation, en lieu et place de la résilience, Christian Clot avance que dans une époque dont le maître-mot est la transformation, cette approche permet non seulement de faire face au présent, mais aussi d’anticiper les crises à venir. Dans le monde du travail, il préconise de substituer le leadership au gestionnariat. Un leadership formé à la prise et à l’acceptation de risques. Ceci dans un contexte où sont valorisées les capacités de projection imaginative permettant de construire le monde de demain. Donc, une optique n’ayant strictement rien à voir, avec le gestionnariat mollasson des pantouflards, ou le gestionnariat agressif des carriéristes.

Pour l’anthropologue étasunienne Anna Lowenhaupt Tsing, il est possible de vivre dans les ruines du capitalisme. Son livre intitulé « Le champignon de la fin du monde » (2017), s’appuie sur l’exemple du matsutake, le tricholome du pin prospérant dans les forêts industrielles abandonnées et les lieux dévastés par l’activité humaine. D’une valeur marchande pouvant dépasser les 1.000€/kg, il démontre que le chaos peut servir de substrat à quelque chose de précieux. Pour elle, l’espèce humaine doit développer des stratégies de survie collaborative en nouant des alliances, sans perdre de vue que ces dernières ne demeureront pas immuables.

Accueilli à tort comme un manifeste pour la résilience, le livre d’Anna Lowenhaupt Tsing allait plus dans le sens des théories de l’adaptation de Christian Clot. A l’issue de la pandémie de covid-19, rien ne sera comme avant. Point n’est besoin d’avoir fait l’ENA, et de sortir 5e de sa promotion, pour comprendre cela. Mais si le retour à l’état initial n’est ni possible, ni souhaitable, quid de l’avenir de notre société ? Développer des capacités d’adaptation, dans l’esprit de ce qui a été énoncé précédemment, va à l’encontre du chacun pour soi ou de l’entre-soi. C’est bel et bien le défi que lance à l’humanité entière, sans qu’il en ait conscience, un minuscule virus surnommé SARS-CoV-2.

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