Fariba Adelkhah – Etre prisonnière politique… (1/2)

... n’est ni une idéologie, ni une conviction. La scientifique franco-iranienne relate sa détention dans la tristement célèbre prison d'Evin.

Dans une boutique, on choisit son tchador. De gauche à droite, les modèles étudiant, national, arabe, nacré - chercher la perle ! -, journaliste, qadjar, libanais. Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – Il est vrai que le quartier des femmes, à Evin, n’abrite que des prisonnières dites politico-sécuritaires. Mais de là à penser qu’elles sont unies par une cause ou une action, il y a un pas que je ne franchirais pas. En dehors même du fait qu’on ne peut pas donner une définition précise de cette qualification, son attribution ne relève pas d’une décision qu’auraient prise la majorité des femmes qui occupent ce lieu.

D’abord, parce que ce qui fait des femmes des prisonnières « politico-sécuritaires », varie d’une personne à l’autre. Entre la revendication de la liberté de mise et l’envoi de clips à Masih Alinejad, l’opposante acharnée de la République islamique vivant en Amérique, à l’affichage de communiqués ou de textes émanant des Moudjahidines du Peuple, une organisation armée dont l’objectif premier et ultime est le renversement du régime, ou encore à la publication sur Internet d’une revue numérique d’orientation gauchiste, il n’y a rien de comparable.

Ensuite, parce qu’il n’y a guère d’entente parmi les prisonnières, hormis sur les questions d’hygiène – j’y reviendrai dans une prochaine chronique – ni même de solidarité entre elles qui les unirait et leur permettrait d’agir de concert. Les pétitions qui sortent d’Evin ne sont signées que par des groupes circonscrits de détenues, ou par des individualités. Celles qui en prennent l’initiative, n’en parlent pas à leurs compagnes d’infortune, ni ne communiquent sur le pourquoi et le comment de leur acte. Les actions collectives sont rarissimes, sinon pour chanter, faire la fête ou commémorer un deuil. Soit, qu’il est difficile de mettre tout le monde d’accord. Soit, et c’est sans doute un facteur explicatif plus important, que les signataires ne veulent pas ajouter sur leur pétition d’autres noms que les leurs. Ne pas oublier que la militante politique en Iran a des penchants pour le cavalier seul…

Autrement dit, plus politique que moi, tu meurs ! La cause du politique est noble et ne se mêle pas aux autres. On peut y voir une tradition héritée du temps de la monarchie. Le secret de l’action était nécessaire pour mieux se protéger (et protéger les autres) de la répression. Bref, celles qui veulent changer la société sont peu portées à communiquer avec les autres détenues, alors même qu’elles vivent sous l’œil des caméras de façon permanente et que les échanges avec l’extérieur passent quasi exclusivement par le téléphone, évidemment mis sous écoute. Entre les royalistes, les gauchistes, les Moudjahidines du Peuple, les Bahaïs, les adeptes des Darawish (les confréries soufies), les réformatrices, les converties au christianisme, les vraies activistes politiques (ne l’est pas qui veut !), font toujours le choix de n’apparaître que parmi les leurs ou leurs élues.

En définitive, ce qui prévaut dans le quartier des femmes, c’est le mode du ghetto. Et c’est bien là où le bât blesse. Pas d’unité sans dialogue. Pas d’unité non plus si tout le monde veut être leader. De plus, ce mode d’organisation est source de tensions et de conflits permanents entre les femmes dans la mesure où leurs regroupements ne sont jamais stables et où leurs alignements menacent leur équilibre. En prison, plus qu’ailleurs, on passe son temps à confier ses secrets (et ceux des autres), dans l’angoisse d’être dénoncées ou trahies. Bien sûr, chaque courant peut se subdiviser par moments, ou se reconstituer. Les clivages sont aussi importants parmi les membres d’un groupe qu’entre des groupes différents.

La deuxième partie de cet article sera publié demain !

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