Fariba Adelkhah – « Roland, le cri étouffé ! » (1/3)

Témoignant de sa longue privation de liberté, Fariba Adelkhah raconte son temps passé à la prison d’Evin, surnommée la « Petite Sorbonne », en raison du grand nombre d’intellectuels qu’elle tient captifs.

Comment ne pas penser ces jours-ci au Baloutchistan soumis aux multiples intempéries ! - A Chabahar on vit (ou plutôt on survit) de la mer qui est à la fois belle et cruelle. Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – Evin, comme ensemble pénitentiaire, est composé d’un agglomérat de villas, plus ou moins grandes, typiques de la société iranienne. Il est fréquent qu’il y ait un espace de stationnement devant et une cour derrière, pour les villas de deux étages. Dans les maisons exposées au nord, on entre directement dans la grande cour, mais il y a ensuite une petite cour à l’arrière. Ce sont ces cours qui servent généralement à la promenade. Quand vous vous rendez à l’infirmerie, dans les bureaux du procureur ou dans ceux de l’administration carcérale, il n’est pas rare de retrouver des éléments d’un ancien bâtiment annexé ou le faste dépéri du passé révolu d’une villa. Il en est ainsi de la grande cour, avec ses rosiers immenses et sa piscine, certes vide et délabrée, en son milieu, à laquelle les hommes ont accès pour leur promenade. De manière inopinée, et sans autorisation, j’ai pu, moi aussi, en profiter un jour.

Les gardiennes m’avaient fait entrer dans une pièce avec un bandeau sur les yeux. Mais les interrogateurs m’avaient permis de le retirer pour la discussion. Car, me dirent-ils, six mois après mon arrestation, il s’agirait d’une vraie discussion, cette fois-ci. Ils prétendirent que mes propos les avaient convaincus et qu’ils allaient changer leur méthode d’interrogatoire pour arriver à des résultats satisfaisants quant à mon avenir carcéral ! Un nouveau mensonge, auquel j’ai cru. J’ai mis du temps à comprendre que mentir fait partie de la profession. La réunion étant terminée, la bande d’interrogateurs, trois, s’est retirée, sans doute pour rappeler ma gardienne qui devait venir me chercher afin de me reconduire à ma cellule, dans l’immeuble d’à côté, relié au bureau dans lequel je me trouvais par des passerelles et des escaliers.

Du coup, j’étais seule dans la pièce. Hésitante car, comme je l’ai déjà écrit, on intègre vite les interdits en prison, je me suis alors levée avec les nécessaires précautions, et presque comme une voleuse, pour m’approcher de la très belle fenêtre. Ouf ! Des promenades de groupe chez les hommes ! Comment est-ce possible ? Nous sommes pourtant toujours en prison ! Ils étaient une trentaine, habillés en pyjama carcéral. Beaucoup marchaient seuls, d’autres par deux ou trois, mais pas plus. Certains assis, dans une cour ensoleillée, et au milieu des rosiers, autour d’un bassin vide. Les interdits ne sont pas les mêmes pour tout le monde, en prison. Ce ne sont pas des interdits fixés en fonction des accusés. Ils sont dictés par la configuration des lieux ou les limites de l’encadrement. Bref, ce qui me faisait rêver, relevait du quotidien pour d’autres. Evin est un monde de discrimination, et les femmes sont toujours les moins ou les plus mal servies.

Revenons à Evin en son béton. Cet espace répond naturellement à des exigences sécuritaires et carcérales. Il a fallu ajouter des murs, les renforcer, les élever, et construire des escaliers et des passerelles pour la circulation des détenus et des gardes. Mais Evin ne comporte pas de bâtiment portant une identité proprement carcérale. En tout cas, je n’en ai pas vu. L’extension du complexe pénitentiaire, dans le nord de la ville, s’est faite par annexion et réaménagement de villas existantes qui n’ont pas été détruites. Quand on sort de sa cellule – et cela arrive souvent, que ce soit en marchant, ce qui est rare, ou en voiture ou en mini bus – on évolue dans cet espace de ruelles (koucheh) ou d’allées bordées de platanes mais aussi de mûriers, nombreux dans ce quartier et dont on raffole en Iran, ainsi que de rosiers dont on vole parfois les fleurs pour en faire des bouquets et les offrir à nos codétenues.

Ce paysage m’est d’autant plus familier que la prison se situe sur les hauteurs du quartier d’Evin – Evin Darakeh – au pied du mont Alborz, sur les lieux de randonnée du vendredi de ma jeunesse, avec mes amis. L’administration pénitentiaire a progressivement étendu son emprise en la cernant de hauts murs en béton, symboles, aux yeux des passants, de l’oppression, de l’injustice et de la torture du régime en place, que ce soit celui du Shah ou de la République Islamique.

Un soir, alors qu’il faisait encore très bon, les derniers jours du printemps, avant que la chaleur ne s’installe, on vient me chercher pour la promenade, vers 18h, quand c’est mon tour (l’attente est souvent longue, l’heure de la promenade dépendant du nombre des détenues). Il y a du soleil sur les escaliers qui conduisent à la cour, mais non dans celle-ci. Je demande à la garde qui m’accompagne de me laisser m’asseoir sur les escaliers. Elle n’y voit pas d’inconvénient. Elle me dit qu’elle viendra me chercher dans 30 minutes. Elle insiste : je ne dois pas bouger. J’acquiesce à nouveau.

La suite dès demain…

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