#FreeFariba : De Paris à Kaboul
Du colloque « Liberté scientifique et risques du métier : la recherche comme profession », à la situation de l’Afghanistan, écoutons Fariba Adelkhah.
(Jean-Marc Claus) – Les 23 et 24 septembre derniers, se tenait à Paris un colloque intitulé « Liberté scientifique et risques du métier : la recherche comme profession », organisé en hommage à Fariba Adelkhah, toujours détenue en résidence surveillée à Téhéran. Ne pouvant participer directement à cette rencontre, Eurojournalist(e) y a apporté à distance sa petite contribution, validée par Béatrice Hibou, chercheuse et amie de Fariba.
Qu’en fut-il de la couverture médiatique de cet événement, alors qu’un mois plus tôt en Afghanistan, pays juste voisin de l’Iran, les talibans sont revenus au pouvoir d’une manière fulgurante stupéfiant nombre d’observateurs occidentaux ? Une fulgurance qui n’a pas stupéfié les chercheurs connaissant les liens entre les différents groupes de population, leurs histoires et leurs schémas de pensée. Mais ce ne sont pas eux que les décideurs ont questionné.
Toutes proportions gardées, il en a été de l’arrivée des talibans au pouvoir en Afghanistan, comme de la propagation du Covid-19 en Occident : à l’optimisme béat, succéda une consternante stupéfaction frisant l’incrédulité, et générant parfois le mensonge.
Stupéfaction consternante, car ce qui s’est passé en Afghanistan, était globalement prévisible, à condition d’écouter les bonnes personnes. Des scientifiques tels que Fariba Adelkhah, peuvent très efficacement contribuer non seulement à la compréhension, mais aussi à la prévision de certains phénomènes géopolitiques. Encore faut-il que leur parole soit rendue audible, et qu’il y ait bien sûr, une volonté de l’écouter. Ce qui malheureusement, pour l’un comme l’autre, demeure actuellement un vœu pieux.
Pourtant Fariba, auteure d’un magnifique poème intitulé « Le silence » a beaucoup à dire, notamment sur l’Afghanistan. Par exemple, dans une publication de 2014, elle pointait déjà que « l’aide étrangère destinée depuis 2001 à la (re)construction de l’État Afghan a paradoxalement amplifié l’ethnicisation et la confessionnalisation des rapports économiques et politiques » (sic). Ça alors, comme c’est ballot, pourrait-on dire si la situation n’était pas aussi dramatique aujourd’hui. Elle soulignait, sept ans avant le retour de l’obscurantisme au pouvoir en Afghanistan, l’aveuglement des bailleurs de fonds, acteurs institutionnels étrangers et ONG « prisonniers d’une approche culturaliste, si non orientaliste, du pays qu’ils contribuent de la sorte à traditionnaliser et notamment à ethniciser. » (sic).
Elle ne dénie pas pour autant tout mérite à l’intervention étrangère de 2001, mais elle en analyse finement les conséquences sur place à travers le prisme de l’anthropologie, son domaine d’excellence. La lecture de cette publication scientifique comptant seulement une quarantaine de paragraphes, donc infiniment moins rebutante qu’une thèse de doctorat, est particulièrement édifiante. Si les décideurs des gouvernements occidentaux lui avaient accordé un minimum de crédit, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Mais il fallait bien sûr, qu’elle leur soit communiquée et son intérêt expliqué. Que l’information ne leur soit pas parvenue, car leurs conseillers sont incompétents, ou que l’ayant eu, ils l’aient ignorée, car étant eux-mêmes incompétents, en discuter ici n’aura aucune incidence sur nos gouvernants. Par contre, comme il appartient à tout(e) citoyen(ne) de s’informer sur la marche du monde, nous pouvons nous approprier et diffuser l’analyse de Fariba Adelkhah, en la lisant et en la relayant via nos réseaux. C’est ainsi que nous lui rendront aussi hommage, et apporterons notre contribution la nécessaire prophylaxie, contre le virus de la pensée binaire gagnant de plus en plus de terrain dans notre société.
L’intégralité de la publication intitulée « Guerre et (re)construction de l’État en Afghanistan : conflits de tradition ou conflits de développement ?», est disponible en cliquant juste ici.
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