Se réinventer, oui mais…

Vocable omniprésent dans l'actuel discours présidentiel, se réinventer nécessite un préalable jusqu'ici savamment occulté.

« Mais puisqu'on vous dit qu'il faut se ré-in-ven-ter ! » Foto: Otterbein University Theatre and Dance / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0

(Jean-Marc Claus) – Au sortir de la Covid-Crise, ou du moins de sa première manche, en habile et habituel prestidi-agitateur du verbe, le président Macron met en veilleuse sa rhétorique guerrière et donc clivante, pour sortir de sa manche un vocable bien plus consensuel. Ainsi serait-il temps de se ré-in-ven-ter. Nous voici bien loin des habituels « J’ai changé », dont usent et abusent politiques de tout crin prêts à vendre père et mère pour gagner quelques suffrages. Là, c’est du sérieux, comme dirait un ancien président livrant sa vie amoureuse au bas peuple qui n’en a cure.

Mais tout de même et blague à part, « se réinventer », c’est d’un autre calibre. En prêtant l’oreille, on pourrait même y entendre en musique de fond comme un savant mélange des airs de « L’apprenti sorcier », pour le côté comique, et de « La Damnation de Faust », pour la dimension tragique. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, l’heure est à la ré-in-ven-tion ! La réinvention de quoi ? Mais de soi ! Il ne s’agit visiblement pas de réinventer un mode de vie, un projet social, une économie. Faudrait-il alors se réinventer personnellement et individuellement soi-même, afin d’adapter nos modes de vie à un projet social privilégiant l’économie et les économies ? Auquel cas, évidemment, rien ne serait plus comme avant.

Après le temps pré-électoral des « en même temps », suivi des séquences gouvernementales du « j’ai changé » des périodes de crise (gilets jaunes, écologie, pandémie), nous entrons dans l’ère de la réinvention. D’après le très sérieux CNRTL, réinventer consiste à « Inventer de nouveau ce qui avait été oublié ou perdu, ou donner une valeur nouvelle à quelque chose. ». Peut-on alors sérieusement (se) réinventer, sans préalable inventaire ? Pour le pékin de base, certes non. Mais la parole présidentielle ayant un caractère magique peut-être saura-t-elle, à défaut de générer de l’argent magique pour les hôpitaux, faire retourner les soignants aux lits des malades avec pour seul moyen supplémentaire, la ré-in-ven-tion ?

Ne riez pas, gens de peu de foi, avant d’avoir au moins essayé, l’une ou l’autre fois ! Comment ? Que dites-vous ? La réinvention et le système D, c’est ce que vous avez fait durant toute la Covid-Crise et même bien auparavant ? Oui, mais ça c’était avant les menaces et les grands tourments, avant le grand tournant ! Soit, mais cela n’exonère en rien l’actuel gouvernement, tout comme les précédents, d’un nécessaire inventaire, notamment en matière de politiques de santé mais pas que, car tout est lié. La réinvention, oui, mais sans droit d’inventaire, non. La réinvention oui, car la vie elle-même se réinvente sans cesse et donc se cantonner dans le village gaulois du statut quo n’a rien de vivifiant. Par contre, réinventer sans préalablement bilanter, pour prendre un mot du jargon médical, revient à administrer des remèdes à la tête du client, au goût du jour ou selon d’antédiluviennes pratiques. Autant dire, pratiquer la médecine de Molière, avec tout le cortège de désastres qu’on lui connaît.

Le pouvoir en place peut-il décemment parler de réinvention, si en même temps, il refuse de soumette sa politique au droit d’inventaire des citoyens qu’il est censé servir ?

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