La colère ou la peur ?
Le mouvement des gilets jaunes n’est pas prêt de s’arrêter – car ce qui anime les manifestants, ce n’est pas la colère et même pas le pouvoir d’achat, mais une peur nouvelle.
(KL) – Cela fait maintenant une demi-année que tous les samedis, la capitale et plusieurs grandes villes de province connaissent des émeutes, des excès de violence et, bien entendu, la peur. Comme le week-end passé à Strasbourg où à partir de vendredi, la ville entière tremblait en attendant l’arrivée des Black Blocks, des néonazis et des gilets jaunes. Mais là, la France entre dans une spirale de la peur – car ce qui motive les gilets jaunes à descendre tous les samedis dans la rue, c’est une peur nouvelle. Une peur que nos ancêtres ne connaissaient pas.
Depuis les débuts des temps, la génération des anciens était animée par la volonté d’améliorer les conditions de vie des générations futures. Cette perspective était, pendant des siècles, et même des millénaires, justifiée. « Je veux que vous puissiez vivre mieux que nous », disaient les aïeux ; et généralement, ça fonctionnait. Les gens pouvaient grimper sur l’échelle sociale, ils pouvaient profiter de nouvelles inventions, ils gagnaient de nouvelles libertés et les conditions de vie s’amélioraient sans cesse pour la grande majorité des gens. Et même par temps de crise, les gens étaient toujours persuadés qu’à un moment donné, les choses allaient s’améliorer. Mais l’espoir du mieux a laissé la place à la peur du pire. Et cette peur n’est pas injustifiée.
Les phénomènes qui font peur aujourd’hui, qui font que les gens aient peur de l’avenir, se situent en dehors de notre champ de contrôle, presque dans le virtuel. Les changements climatiques et la pollution mettent la survie de notre planète en péril, des guerres et guerres civiles sévissent un peu partout dans le monde, des structures qu’on connaissait sont menacées (comme l’UE après le Brexit), la Révolution Technologique remet en question de nombreux corps de métier et en fin de compte, les gens ont de plus en plus peur de décrocher. Et ce, à juste titre.
Toute cette peur, la peur que les lendemains soient pires que l’état des choses actuel, se focalise sur une personne en France – le tout-puissant président. Actuellement, ce président omnipuissant fait même semblant d’être investi d’une mission divine, et cette attitude réveille des attentes. Ces attentes, aucun président ne peut les satisfaire (et c’est pour cela que cette mise en scène du pouvoir jupitérien était peut-être une erreur) et logiquement, l’espoir a déjà cédé à la frustration et la frustration s’exprime tous les samedis dans des « Actes ». Nous sommes entrés dans une spirale de la frustration, de la peur, de la haine et de la violence.
Les annonces faites jeudi dernier par Emmanuel Macron ne pouvaient en aucun cas apaiser la situation. Les mesures annoncées ne répondent en rien à cette peur nouvelle, à cette peur du lendemain qui gagne de plus en plus de Français. Ni la fermeture de l’ENA, ni les objectifs climatiques à l’horizon 2025, ni les 150 citoyens tirés au sort ne répondent à cette peur existentielle qui s’est emparée des gens et qui s’exprime tous les samedis dans la rue.
La question que posent les gilets jaunes de manière assez maladroite, est simple : « comment fera-t-on pour vivre demain ? ». Dans un monde globalisé, totalement contrôlé par le Grand Capital qui lui, se fiche des nationalités, car il opère à l’échelle internationale, les individus comptent de moins en moins. Et là, où cette globalisation fait ses premières victimes, ce sont les plus faibles éléments de la société qui sont aussi ceux qui ne peuvent pas se défendre contre les conséquences de cette globalisation. Les gilets jaunes ont peur de se faire décrocher dans ce processus ? Ils ont raison.
Le monde de la politique, lui, se trouve presque dans la même situation que les gilets jaunes – l’action politique est autant marquée par la peur que les manifestations des gilets jaunes. Le monde politique a peur de perdre le contrôle sur le pays (ce qui est le cas depuis 6 mois), il a peur des prochaines échéances électorales (à juste titre) et donc, il fait la même chose que les manifestants du samedi – il roule les mécaniques.
Seules, des mesures concrètes qui rassureraient la population et qui présenteraient des réponses à ces nouvelles peurs, pourrait calmer la situation. Mais avant de pouvoir prendre des mesures, il faut d’abord comprendre le problème et entendre les messages de part et d’autre. Les gilets jaunes le crient haut et fort : « on a peur ! Et on ne lâche rien, car le jour où on lâchera, plus personne ne nous entendra ! ». Pas faux. Le message du président est aussi clair : « je ne vous comprends pas, mais je suis le président, je n’ai pas de grande marge de manœuvre et si vous continuez à me remettre en question, ce seront de nouvelles lois et les CRS ». Un dialogue de sourds.
Entre le président et les gilets jaunes, une incompréhension aussi totale que mutuelle s’est installée. Pourtant, c’est la peur qui anime les actions de l’un comme des autres. Mais la peur n’est jamais un bon conseiller pour construire quelque chose. Il serait temps de calmer la situation, de mener une réflexion positive et constructive et d’arrêter cette spirale de la peur et de la violence. Les gilets jaunes ne pourront pas améliorer leur situation en semant la peur tous les samedis, le président ne pourra pas calmer le pays en répondant avec de la violence institutionnalisée.
Il faudra instaurer un autre format de dialogue entre « le peuple » et l’état – un vrai dialogue, non formaté, non instauré pour gagner du temps, mais pour se pencher sur ces peurs qui sont en train d’envenimer le pays. De part et d’autre. Il serait temps de retrouver une perspective constructive, un nouveau positivisme, un respect nouveau. Depuis 6 mois, la France a perdu tout ça.
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