La fabrique des abrutis – Enflés influenceurs !

Présents sur tous les réseaux sociaux, les influenceurs sont une insulte à l’intelligence. Foto: Blogtrepreneur / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Jean-Marc Claus) – L’été dernier, le site d’information généraliste belge « 7sur7 », avait consacré un article au « Kit de la petite influenceuse » commercialisé par une chaîne de magasins français. Mais le public visé par ce type de produits est plus large que les enfants de trois ans, car des versions plus élaborées existent sur le marché, visant majoritairement les ados et les adulescents. Il est vrai que, pour bien passer à l’image, quelques équipements sont nécessaires.

Si tout cela se résumait à se filmer, on pourrait considérer que ces lubies nombrilistes n’ont pas de quoi casser trois pattes à un canard. Or, il ne s’agit pas là d’un épiphénomène, mais d’un véritable phénomène de société dont l’ampleur qu’il prend, notamment au pays du « cogito ergo sum » et de la Déclaration des Droits de l’Homme, a de quoi questionner très sérieusement. Les Gaulois qualifiés de réfractaires par un certain « capitalist addict », seraient-ils en passe de devenir stupides au point de renoncer à leur libre arbitre ?

Mais l’Histoire a démontré à plusieurs reprises, dont certaines particulièrement tragiques, que le suivisme n’a rien d’incompatible avec la fierté du coq gaulois ! Pourtant, en l’espèce, c’est d‘un mouvement bien plus vaste et bien plus subtil qu’il est ici question. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le peuple français, ordinairement très à cheval sur la défense de sa li-ber-té, se met de plus en plus à l’écoute de ceux s’autoproclamant in-flu-en-ceurs. Influenceurs et influenceuses, de tous genres et de tous types, allant des conseils santé-beauté aux analyses géo-politiques.

Un magnifique film intitulé «Das Leben der Anderen» (2006) et la célèbre chanson de Jean-Jacques Goldman « La vie par procuration » (1986), illustrent parfaitement la tendance actuelle. A l’heure où le multimédia et l’internet, employés intelligemment, peuvent nous aider efficacement à accroître nos capacités de compréhension du monde et d’analyse des situations, un nombre croissant de nos concitoyens se laisse coacher par des n’importe-qui !

Des n’importe-qui devenant célèbres grâce au truchement des algorithmes et à l’aveuglement de leurs followers, qui font se prendre pour des stars de banals strass s’autoproclamant diamants. Vivant qui à Dubaï, qui au fin fond de la Lozère, ces donneuses et donneurs de leçons n’ont pas d’autre but que d’exister en faisant du buzz sur la toile, quitte à y montrer leurs fesses et même plus si nécessaire.

Enflés d’un incommensurable orgueil, ils se prétendent aptes à intervenir dans la vie des autres, alors que la plupart, comme l’a démontré le tragique suicide d’une influenceuse française, ne sont pas en mesure de gérer leurs propres existences. Idem aux USA où une influenceuse voulant aider les personnes atteintes de troubles mentaux, a également mis fin à ses jours.

Il en est d’autres, par contre, qui, faisant toujours plus de vues sur la toile, risquent très peu de se suicider, car la considération qu’ils ont pour autrui étant inversement proportionnelle à celle qu’ils nourrissent pour eux-mêmes, rien ne peut vraiment les atteindre. En somme, crétinerie et nombrilisme se potentialisant, ces individus développent à leur insu, une immunité envers tout mécanisme pouvant provoquer l’autodestruction d’un individu normalement cortiqué.

Récemment, le collectifs d’écrivains espagnols « Diversidad Literaria » publiait sur son compte Facebook un dessin mettant en scène un personnage montrant sa bibliothèque et disant « És mi colección de influencers… ». Si toutes celles et tous ceux qui passent des heures à visionner des vidéos de bas-de-plafond nombrilistes et exhibitionnistes, se plongeaient dans la lecture, l’intelligence collective susceptible de nous aider à sortir des situations de crise, aurait une chance de supplanter le suivisme individuel qui nous conduit tous à notre perte.