La fabrique des abrutis – Tague ta gueule !

Taguer la Fresque des Lyonnais, ou toute autre œuvre d'art, est une profonde marque d'inintelligence et d'inculture.

L'histoire de Lyon raconté à travers ses citoyens célèbres et mise à portée de tous. Foto: Tylwyth Eldar / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Contrairement aux chiens que leur nature oblige à laisser un témoignage de leur passage dans la rue, en urinant de-ci de-là voire pire, les tagueurs n’existent que par leurs signatures bombées à la sauvette dans l’environnement urbain. Contrairement aux graffeurs réalisant d’authentiques œuvres d’art, nécessitant préalablement recherche et inspiration, les tagueurs se la jouent « Son nom, il le signe à la pointe de l’épée, d’un Z qui veut dire Zorro », mais ils n’ont absolument rien de commun avec le justicier masqué alto californien du XIXe siècle.

C’est ainsi qu’au début du mois, la Fresque des Lyonnais sise à l’angle du quai Saint-Vincent et de la rue de la Martinière, a été taguée sur ses niveaux 0 et 1 côté Saône d’un énorme « gone ». Les gones étant à Lyon les homologues des poulbots parisiens, était-ce pour l’auteur(e) de ce forfait, une manière de rappeler que des trente personnages représentés sur cette fresque de 200 + 600m², tous natifs de la Capitale des Gaules, certains furent en leur temps des enfants issus d’un milieu social modeste, comme par exemple Laurent Mourguet ? Mais il eut fallu pour cela que gone se déclinât au pluriel, car le créateur du Théâtre de Guignol, n’est pas le seul dans ce cas sur la fresque.

Chercher une possible motivation revendicatrice, à un pur acte de vandalisme, revenant d’une certaine manière à le légitimer, nous en resterons là dans la tentative d’explication. D’autant plus que la ville de Lyon, qui consacre annuellement plus d’un million d’euros pour le nettoyage des tags, va voir sa facture s’alourdir avec la nécessaire restauration de cette fresque faisant partie de son patrimoine. Mais rappelons que les tags, trouvent leur origine non au temps des peintures rupestres préhistoriques, comme certains tagueurs aimeraient le faire croire pour se rendre intéressants, mais plus banalement au XXe siècle.

Plus banalement et plus cruellement car en 1942, dans une usine d’armement étasunienne, un ouvrier nommé Kilroy eut l’idée saugrenue d’inscrire sur des bombes issues de sa chaîne de fabrication « Kilroy was here ». Une formule devenue slogan patriotique, que les soldats US inscrivant partout sur leur passage. Il a même été avancé que Staline aurait dit « Mais qui est ce satané Kilroy », propos relevant plus de la légende que le fameux « Le pape, combien de divisions ? » prononcé en 1935 et qui en 1989, dut avoir une saveur particulière pour Gorbatchev !

Étymologiquement parlant, signer renvoie à faire signe, sceller un document, marquer, apposer sa marque ou signature pour authentifier, mais aussi faire le signe de la croix sur soi-même, autrui ou quelque chose afin de bénir et de solliciter la divine grâce. Les grands chefs ont des plats signature, comme par exemple Paul Bocuse avec notamment sa soupe VGE et son loup en croûte sauce Choron, tous deux scellés de pâte feuilletée ou sa bluffante volaille de Bresse en vessie (de porc). Le chef lyonnais fait d’ailleurs partie des personnalités contemporaines représentées sur la fresque.

L’origine de cette œuvre d’art remonte au début des années quatre-vingt-dix quand CitéCréation, une coopérative lyonnaise d’artistes fondée en 1978 et ambitionnant de rendre l’art accessible à tous, réalisa la fresque des « Balcones de Barcelona », une œuvre en trompe-l’œil commandée en vue des jeux olympiques d’été de 1992. Elle représente sur 500m² de façade Plaza de la Hispanidad, devenue en 2017 Plaza Pablo Neruda, 26 catalans célèbres, dont certains mis au ban de la société par la dictature franquiste. C’est le premier mur peint de la capitale catalane et Michel Noir, alors maire de Lyon, voulut une réalisation similaire commémorant l’histoire de la Capitale des Gaules à travers ses citoyens célèbres. Ce qui fut réalisé entre 1994 et 1995 après sélection parmi 250 possibles postulants.

Comme d’autres fresques réalisées sur des murs borgnes, véritables verrues urbaines avant leur réhabilitation par le travail d’artistes, celle des Lyonnais transforme la laideur en mettant l’art à portée de tout un chacun et raconte une histoire appropriable par tous. Si des abrutis pensent s’illustrer en y apposant leur signature, ils se fourvoient tout autant que les activistes illuminés projetant de la sauce tomate sur des œuvres d’art.

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