Le goût des pruneaux ou celui des cerises de Kiarostami ?

Conformément à sa promesse, Fariba Adelkhah fait part aux lectrices et lecteurs d’Eurojournalist, de son vécu lors de sa longue privation de liberté en Iran.

La Prison d’Evin, un lieu de privation de liberté, où existent néanmoins certains actes et témoignages d’humanité. Foto: Ehsan-Iran / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0

(Fariba Adelkhah) –  Un jour, le judas qui sert quelquefois à inspecter les cellules, à poser une question aux détenues ou à répondre à leurs demandes, s’ouvre de façon brusque. Assise comme toujours, dans une pièce de 6m², je lève la tête pour voir ce qui ramène les gardes. J’ai juste eu le temps de voir deux yeux bien noirs courroucés, un peu enragés, que soudain un petit sachet de congélateur, du genre de ceux qu’on a l’habitude d’utiliser au quotidien pour protéger les aliments, au détriment sans doute de la protection de l’environnement, m’est jeté  ! Et le judas se referme comme un coup tonnerre ! Je prends possession du sachet, dans lequel se trouvent six pruneaux. Je les ai bien comptés, ils sont six, car en prison, nous avons du temps à consacrer aux petites choses qui font l’essentiel, la vie !

A mon arrivée à Evin, en détention provisoire, au secret, période au cours de laquelle se déroulent les séances d’interrogatoire en vue de la préparation du jugement, et donc de la sentence, je ne me suis jamais pensée malade. Le taux d’adrénaline était trop haut pour se laisser aller  ! Mais je me suis trouvée, disons, avec deux problèmes, dont l’un était plus grave et plus difficile à traiter que l’autre. 

Il s’agissait d’insomnies et de difficultés de digestion. J’ai commencé à supprimer le repas du soir, qui était d’ailleurs le plus varié, mais mes problèmes digestifs persistaient. J’ai fait état de ma situation au personnel pénitentiaire, toutes des femmes, et un jour, j’ai été conduite à la clinique d’Evin pour une consultation médicale. Les médicaments ont plutôt aggravé les choses. Je souffrais de maux de ventre et il n’était pas toujours aisé de se rendre aux toilettes faute de garde pour m’y accompagner. 

Un jour, j’ai demandé en catimini à une gardienne, lors d’une séance de « prendre l’air », c’est-à-dire de promenade, d’environs de 20 à 30 minutes, de bien vouloir m’apporter des pruneaux. Vieille méthode de grand-mère, me direz-vous ! On m’a fait comprendre que la réglementation était assez stricte, et que le personnel n’avait pas le droit de parler avec les détenues, et encore moins de leur donner autre chose que les repas de la prison. 

Mais, quelques jours plus tard survint la divine surprise : du petit sachet de congélation. Ma geôlière ne m’avait pas oubliée. Je n’ai jamais eu la possibilité de la remercier car, en la cherchant, j’ai compris qu’elle avait été transférée dans un autre service. Je pense qu’elle a profité du moment de son changement d’affectation, pour satisfaire mon vœu malgré le règlement, et en parfaite transgression de ses devoirs. Ce qui aurait pu lui coûter cher.

Je ne me souviens pas des effets miracles des pruneaux ni de leur goût, mais toujours de ces deux tristes yeux noirs, contrariés, qui se sont posés sur moi pour me dire haut et fort que je n’étais pas seule, ni d’ailleurs la seule prisonnière ! Que si mon arrestation m’avait privée de mes liens affectifs, de mes amis, de mon travail, elle ne pouvait pour rien au monde me priver de ma liberté d’être, d’agir et surtout d’exprimer mes principes et d’aimer ceux ou celles qui s’y plient et ne les oublient pas. Fût-ce ma geôlière…

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