La société du commentaire

L’influence de la société du commentaire, via les chaînes d’info en continu et les réseaux sociaux, gagne toujours plus de terrain dans l’espace public. Explications et analyse, dans un opuscule à mettre entre toutes les mains.

Un opuscule à mettre entre toutes les mains. Foto: JM Clauss /CC-BY 2.0

(Jean-Marc Claus) – Journaliste au Monde où il est grand reporter au service Idées – Débats, metteur en scène épisodique au Festival d’Avignon, collaborant à diverses publications, auteur d’essais poussant à la réflexion, Nicolas Truong s’est, avec beaucoup d’intelligence, penché sur « Un bruit de fond persistant. Un brouhaha permanent. Une entêtante musique d’ambiance qui semble placer l’information et l’opinion, les raisons et les passions, les connaissances et les expériences sous le signe de l‘équivalence. » (page 9). Une façon très claire de décrire en quelques lignes, remaniant un article de 2021, le climat actuel dans lequel « alternative facts » les plus pervers, complotismes les plus délirants et réécritures de l’Histoire les plus hallucinantes occupent les premiers plans des débats.

Débats sur le web et dans certains médias, car c’est d’abord sur ce terrain fertile que sont semées ces graines de poisons idéologiques, mais aussi dans le monde réel où il gagne une influence considérable sur les schémas de pensée de tout-un-chacun. Convoquant un large panel de chercheurs et d’auteurs de la seconde moitié au XXe siècle à nos jours, mais faisant aussi référence à Hannah Arendt, Georges Orwell et Victor Klemperer, l’auteur décrypte méthodiquement les mécanismes et les ressorts de ce qu’il nomme « La société du commentaire ». Un essai d’une soixantaine de pages où il questionne aussi la place du journalisme dans une société où ils sont supplantés par des commentateurs de l’actualité promus ou autoproclamés éditorialistes.

Mis en avant par de nombreux médias pour faire de l’audience, ces derniers négligent les vérités factuelles et la dictature du hashtag pollue les esprits, car « le commentariat prend comme une donnée ce qui devrait être interrogé » (page 51). Il « n’informe alors plus sur la réalité, mais informe la réalité » (page 45). A cette marée montante de désinformation, appelée sans vergogne dans certains milieux « réinformation », faut-il opposer un silence radio ? Certes non, même si le rapport de forces est fondamentalement déséquilibré, car comme le décrit l’auteur, cela « conduirait à mécaniquement laisser le champ libre à la pensée désinformée » (page 34). Or, c’est la voie qu’empruntent en temps de paix relative, les dictatures en devenir certain.

Prolongée par « Du commentariat au réactionnariat », l’analyse de Nicolas Truong décrit en cinq chapitres bien ficelés, comment « la mouvance dite néoréactionnaire s’est incrustée dans la société du commentaire » (page 63). Cinq chapitres qui sont autant d’articles parus dans Le Monde de 2018 à 2020 et en partie revisités. L’essor du national-populisme intellectuel et médiatique, les intervenants très à droite omniprésents sur les chaînes d’info en continu dont certaines ne produisent que quelques minutes d’information par heure d’émission, l’hégémonie culturelle, concept gramsciste récupéré avec succès par l’extrême-droite, l’arme idéologique zemmourienne de la restauration, le grand retournement idéologique que constitue la droite extrême, sont non seulement des clefs de compréhension, mais contiennent aussi des moyens de riposter efficacement.

La société du commentaire
Par Nicolas Truong
Édition Le Monde – L’aube – 11/2022 – ISBN 978-2-8159-4585-1
112 pages – 14€

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