L’Alsace en question : halte au feu !

Alain Howiller sur le nouvel élan alsacien et « l'enquête » actuellement menée.

Alain Howiller appelle au calme. Une confrontation "Girondins" vs. "Jacobins" n'apportera pas grande chose à personne... Foto: Alsace.eu

(Alain Howiller) – J’avais envisagé -non sans risque assumé !- d’introduire cet article par un zeste d’humour : suggérer aux auteurs de la série « Astérix » de situer la prochaine aventure du petit gaulois dans une Alsace où les Alsaciens d’avant-hier se battaient déjà entre eux pour savoir qui ils sont, où ils vont et ce qui les unit ou (surtout) les… divise, le tout sous l’œil incrédule de Jules César venu battre Arioviste sur le Rhin ! Et puis, j’ai eu des doutes quant à la manière dont les Alsaciens, si friands d’humour (dit-on), accueilleraient cette approche !

Et puis, les débats qui viennent à nouveau envenimer les réflexions sur l’avenir d’une Alsace « région à part entière » ou « inféodée » (?) dans un Grand Est conforté, la proximité de la date fixée (15 février) par la Collectivité Européenne d’Alsace pour que les Alsaciens puissent répondre à « l’enquête citoyenne » leur demandant de répondre à la question « L’Alsace, doit-elle sortir du Grand Est » m’ont fait hésiter.

Le poids d’une émission de radio ! – Mes doutes se sont envolés en entendant, l’autre jour sur France-Culture, un historien -professeur agrégé, chercheur associé à l’Université de Strasbourg- voyant dans une éventuelle sortie du Grand Est : « …un risque d’éloignement de l’Alsace vis-à-vis de la nation, il y a un risque de rupture dans le principe d’unité et d’indivisibilité de la République et de l’égalité entre Français… Les ethno-régionalistes alsaciens sont ceux qui ont une définition ethnique de l’identité régionale, « völkisch », comme on dit ici… ils portent d’ailleurs le lourd héritage en Alsace d’avoir été les fourriers du nazisme… Pour cette raison, ils sont minoritaires. Mais, la création de la Collectivité Européenne d’Alsace (CEA) et les projets de Frédéric Bierry (ndlr : le président de la CEA née le 1er Janvier 2021, de la fusion des Conseils Départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin), sont exactement conformes à leur agenda politique, sans être au pouvoir. La différenciation territoriale telle qu’elle est réalisée en Alsace aujourd’hui, permet de réaliser leur programme, celui d’une Alsace toujours plus éloignée de la France ! »

Fichtre : jamais dans ce débat, enfiévré -en plus- par la proximité des élections présidentielles, suivies dans la foulée par des élections législatives, jamais on avait vu émerger de tels propos qui, curieusement, n’ont provoqué que peu de réactions à part celle d’une association d’histoire (« Unsri Gschicht ») indignée.

Encore le retour des « Jacobins » et des « Girondins » ! – On connaissait jusqu’ici l’éternelle confrontation entre les « centralisateurs jacobins » qui redoutent un risque de démantèlement (!) de l’Etat -et de la Nation- avec la naissance de régions dotées de pouvoirs réels au nom d’une décentralisation assumée, et les « autonomistes » qui, depuis la Révolution Française et l’émergence ratée du mouvement des Girondins, ne peuvent qu’être assimilés à des « séparatistes » !

Le sujet alimente, une fois de plus, les réflexions de nos élus en ce 8 Février (débat à l’Assemblée Nationale) et 9 Février (au Sénat) qui sont appelés à se prononcer sur le projet de loi dit des « 3 DS » (« Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification »). Un débat qui, en Alsace -les déclarations à France Culture en attestent une fois encore !- a toujours des références historiques (le plus souvent fantasmées !) qui n’ont plus de résonance : les Alsaciens savent, comme leurs voisins, qu’ils ne vivent pas à… l’époque de Bismarck, allusion fine qu’un parlementaire communiste du Sud de la France s’était permis lors d’un débat parlementaire, à propos du maintien du droit local en Alsace et en Moselle !

100.000 « votants » pour la sortie du Grand Est ? – Rappelons, brièvement, qu’intégrée le 1er Janvier 2016, sans concertation, dans une grande région dite du « Grand Est », avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne, l’Alsace a retrouvé un statut « hybride » le 1er Janvier 2021 : avec la fusion des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, elle a formé la « Collectivité Européenne d’Alsace » (CEA), reprenant les prérogatives des conseils départementaux avec une vocation particulière ; définir et mettre en pratique, un schéma de coopération régionale transfrontalière. La « CEA », s’appuyant sur une série de sondages mettant en relief qu’une grande majorité d’Alsaciens souhaite que la nouvelle collectivité fasse un pas de plus vers une région à part entière sortie du Grand Est, fait l’objet de confrontations quant à son devenir institutionnel.

Jusqu’ici, les pouvoirs publics ont refusé de prendre en compte le souhait de sortie du Grand Est. « L’enquête citoyenne » a voulu créer des conditions permettant de faire pression sur le gouvernement.Frédéric Bierry, compte sur une participation de 100.000 « votants », en très grande majorité favorables à la demande de région de plein exercice. L’enjeu est d’autant plus important qu’il a prévenu : « si le résultat est négatif, je fermerai le livre ! »

Quand deux présidents… s’affrontent ! – Réélu Président du Grand Est après les élections régionales de Juin 2021, Jean Rottner, ancien maire de la ville de Mulhouse dont il est toujours premier adjoint, a, en quelque sorte, anticipé l’ambition de son adversaire président de la CEA, soulignant : « Les électeurs ont martelé leur désir de continuité… ils ont affirmé leur volonté de pérenniser le Grand Est… L’exercice démocratique dont nous sortons, signifie que le Grand Est tant décrié, a bien une raison d’être… A ceux qui jugeraient opportun de continuer à morigéner notre Région, je le clame une dernière fois : vous menez un combat d’arrière-garde !… » Oubliés les propos du même qui disait en Juillet 2014 : « Une région allant de la région parisienne au Rhin, c’est inconséquent, incohérent et inefficace ». Il appelait les collectivités alsaciennes pour proposer « un projet alsacien alternatif » à la fusion Alsace-Lorraine et Champagne-Ardenne ! C’est ce que propose, finalement, Frédéric Bierry… quelques années plus tard !

Si un affrontement, à peine feutré, entre Jean Rottner, Président du Grand Est qui entend le rester, et Frédéric Bierry, qui lui, entend présider une future Région Alsace de plein exercice, peut offrir une des clés pour comprendre la vigueur d’un différend politique qui divisa deux élus pourtant membres du même parti (Les Républicains – LR), l’analyse des positions des partisans ou adversaires d’une sortie de la grande région ne manque pas de surprises. L’une des dernières surprises : l’adhésion « par pragmatisme » de la Maire écologiste de Strasbourg à une grande région, formule considérée désormais « comme satisfaisante » : elle est pourtant membre d’un parti qui critique la démarche de Bierry et qui prône la proximité et qui n’a cessé de critiquer la Région Grand Est, source de déplacements générateurs de pollution, comme le rappellent, dans une lettre ouverte, le « Mouvement pour l’Alsace (MPA) » et le « Club Perspectives Alsaciennes (CPA) ». Il est vrai que le siège du Grand Est est à Strasbourg et que la municipalité strasbourgeoise semblait regretter le peu de cas que la CEA faisait de la capitale alsacienne où est également son siège, mais dont les assemblées se tiennent à… Colmar !

Va-t-on pouvoir… fermer le livre ? – Le « Front National » avait -comme le parti de la « France Insoumise – LFI (!) »- marqué son opposition aux régions, sources de risques de démantèlement de l’Etat et de la Nation, devenu « Rassemblement National -RN », il a souhaité une sortie de l’Alsace du Grand Est tout en condamnant la démarche de « l’enquête citoyenne ». Le Parti Socialiste critique, lui aussi, la formule de « l’enquête citoyenne », tout en rappelant qu’il était favorable au projet de collectivité unique alsacienne.

Opposition à la démarche engagée par Frédéric Bierry, soutenue par la CEA et l’ensemble des mouvements favorables à la sortie du Grand Est, opposition de principe à la sortie du Grand Est, promotion active en faveur d’un retour, souhaité par une majorité selon les sondages, à une Région Alsace de plein exercice : les arguments, parfois nauséabonds, se heurtent et la proximité d’élections désormais proches qui n’arrangent rien ! Le résultat de la consultation citoyenne en cours, permettra-t-il de clore un dossier qui empoisonne ? La majorité sortie des urnes poussera-t-elle le gouvernement de demain à trancher et permettra-t-elle de « fermer le livre » ? L’émission de France Culture a souligné la menaces de dérives qui ne peuvent que nous inciter à crier : « Halte au feu ! »

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste