Les complotistes, sont-ils otages de leurs neurones ?

Une récente étude menée dans le domaine des neurosciences, tend à démontrer que les choix inappropriés et les décisions erronées, auraient un substrat organique.

Le système nerveux humain ne manque pas de secrets restant à découvrir. Foto: LadyofHats / Wikimedia Commons / PD

(Jean-Marc Claus) – Un article d’Antoine Daoust, publié mi-janvier sur le site web Fact & Furious, titrait « COVID-19 : les acteurs de la désinformation en France ». Quelques jours plus tard, le Groupe Hospitalier Paris Psychiatrie & Neurosciences, premier acteur hospitalier parisien des maladies mentales et du système nerveux, publiait sur son compte LinkedIn la découverte qu’un récepteur synaptique qui serait impliqué dans l’émergence de croyances aberrantes. Les complotistes seraient ils alors les otages de leurs possibles dysfonctionnements neuronaux ?

D’un point de vue purement scientifique, et donc le plus objectif et le moins partisan possible, cette question mérite d’être posée, même si elle ne peut avoir de réponse absolument affirmative ou radicalement négative. La recherche a suffisamment démontré ces dernières décennies, l’implication de la biochimie moléculaire de notre cerveau dans nos comportements, pour ne plus tout résumer à une emprise essentiellement psychologique, mais un autre excès serait de tout ramener à des dysfonctionnements neurologiques, car dans ce cas, nous ne serions pas très loin d’une réécriture de « 1984 » en version biotechnologique.

L’étude menée conjointement par des chercheurs de l’Hôpital Sainte-Anne, d’universitaires parisiens, de scientifiques de l’École Normale Supérieure et de l’INSERM, a mis en évidence que le blocage d’un récepteur synaptique induit des décisions prématurées, aberrantes et génère des symptômes similaires à ceux observables dans les stades précoces de psychose. Ce récepteur chargé comme tous les autres de divers types, de capter des neuromédiateurs spécifiques assurant la transmission de l’information dans les neurones, est le N-méthyl-D-aspartate (NMDA).

Cette propriété du récepteur NMDA a été découverte lors de travaux sur les encéphalites provoquées par une réaction auto-immune contre lui. Il n’était donc en aucun cas question de trouver une preuve scientifiquement irréfutable des prises de positions des complotistes et encore moins de médicaliser ces derniers. Ces études mettant l’accent sur la survenue de symptômes psychotiques chez les personnes atteintes de ce type d’encéphalites, ont eu recours à un panel de volontaires sains.

Acceptant d’être testés après injection d’une très faible dose de kétamine, dont l’action de blocage temporaire des récepteurs NMDA est connue, ces derniers ont été sollicités pour prendre des décisions sur la base d’informations visuelles incertaines. Réalisée en double aveugle kétamine versus placebo, cette étude a démontré que le blocage des récepteurs NMDA provoque un sentiment d’incertitude élevé, ainsi que des prises de décisions prématurées.

Décisions prématurées, prises sous l’influence d’un biais de raisonnement favorisant les informations confirmant les opinions du sujet, au détriment des informations les invalidant. Le chercheur Valentin Wyart, lauréat d’une bourse d’un million et demi d’euros décernée en 2017 par le Conseil Européen de la Recherche en 2017, qui travaille à la compréhension et la prédiction des décisions humaines, en particulier en situation d’incertitude ou de charge mentale, assure que ce biais de raisonnement compense le sentiment d’incertitude élevé ressenti par les sujets sous l’effet de la kétamine bloquant leurs récepteurs NMDA.

Ce qui signerait non une confiance en soi exagérée, comme on le croit souvent à tort, mais une réaction de défense du système neuropsychique visant à assurer en quelque sorte sa sécurité interne, quoi qui l’en coûte. D’où, dans le cadre spécifique des processus psychotiques, l’impossible invalidation des croyances et idées délirantes par des informations extérieures, fussent-elles parfaitement rationnelles et argumentées. Des essais cliniques vont donc être menés, afin de déterminer comment augmenter la tolérance des patients à l’incertitude, dans les stades précoces de psychose.

Mais le résultat de ces recherches, intéressants à plus d’un titre, ne signifient pas que les personnes embrigadées dans des mouvements complotistes et/ou sectaires , seraient des psychotiques en puissance que l’on pourrait ramener à la raison en leur administrant un traitement médicamenteux ! Par ailleurs, l’influence des algorithmes nous donnant à voir sur les réseaux sociaux essentiellement des publications allant dans le sens des nôtres, ainsi que le fonctionnement des biais cognitifs de confirmation restent opérants, avec ou sans blocage des récepteurs NMDA.

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