L’Europe de la Santé : le pschitt de 1952…

En 1952, un projet d’Europe de la Santé, porté notamment par un ministre français, a connu une fin tragique. Ne faudrait-il pas y revenir ?

Le Pool Blanc, une idée européenne dynamisante et généreuse, foulée au pied par les puissances d’argent. Foto: Jayasuryajai / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Il est habituel de faire remonter la création de ce qui devint l’actuelle Union Européenne (UE), à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), issue du Traité de Paris (1951) et entrée en vigueur en 1952 pour une durée d’un demi-siècle. Réunissant cinq années après la Seconde Guerre Mondiale, l’Allemagne de l’Ouest (RFA), la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas, ce traité avait pour but de rendre matériellement impossible un nouveau conflit.

La France et l’Allemagne étaient évidemment visées par cette mesure préventive, car en moins d’un siècle, les deux nations furent trois fois en guerre. La première appelant la seconde, qui appela la troisième, et les deux dernières devenant des conflagrations mondiales. Il était grand temps que cela cesse, et une gestion par un organisme supranational des ressources essentielles à la guerre pouvait efficacement y contribuer.

Éviter la guerre, c’est très bien, mais entretenir la paix et notamment la paix sociale, c’est encore mieux. La réduction des inégalités demeure un excellent moyen d’arriver sans violence à cette fin. Des hommes d’État tels que les ministres communistes Ambroise Croizat et Marcel Paul l’avaient parfaitement mis en pratique dès 1945, en créant qui la Sécurité Sociale et qui Électricité de France – Gaz de France.

Dans cet ordre d’idées, un projet nommé « Pool Blanc », fut présenté par Paul Ribeyre, alors Ministre de la Santé, lors d’une conférence tenue à Paris en décembre 1952. A cette occasion étaient réunis les représentants des six pays de la CECA, de la Grande-Bretagne, de la Suisse et de la Turquie. Cette dernière, entrée au Conseil de l’Europe (CoE) en 1950 et dans l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN) en 1952, voyait alors son économie se libéraliser en bénéficiant du Plan Marshall (1948-1952).

Le « Pool Blanc » venant en complément des actions menées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en Europe, préconisait de lutter de concert contre les maladies car « les épidémies, les fléaux sociaux ne connaissent pas de frontière. » (sic). Ce projet de traité préparé par Paul Ribeyre et l’équipe de son cabinet ministériel, était soutenu par l’ensemble de la communauté médicale. Il ne comportait pas moins de 250 articles.

Marché commun des médicaments et matériels médicaux, harmonisation des programmes de formation et de recherche, création de laboratoires spécialisés, coordination de l’offre hospitalière et mutualisation des ressources, tout était prévu pour que naisse une « Europe de la Santé ». Un très beau projet, utile à tout un chacun, mais qui a très rapidement fait pschitt….

Pourquoi est-ce que cela n’a pas marché ? - Autant avait-il été possible de créer la CECA, autant s’avérait-il impossible de créer le « Pool Blanc ». Présenté à l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE) réunissant les 16 pays bénéficiant du Plan Marshall, le projet a été confié au Conseil de l’Europe qui ne parvint pas à le concrétiser.

Voilà de quoi donner du grain à moudre, aux eurosceptiques et europhobes de tous crins ! Oui, mais non, la raison de cet échec n’est pas la prétendue incapacité des institutions européennes, mais entre autres forces réactionnaires, l’opposition farouche des laboratoires pharmaceutiques et des industries cotonnières qui fournissaient les hôpitaux. En clair, le capitalisme voyait d’un très mauvais œil cette initiative teintée de communisme.

Les institutions européennes sont, comme les partis politiques et les syndicats, ce qu’en font celles et ceux qui veulent s’y investir. L’aide apportée à l’Europe par le Plan Marshall, n’était pas plus gratuite que le Débarquement. La mise sous tutelle étasunienne des pays vaincus et de la France imaginée dès 1942, n’a heureusement pas fonctionné comme prévu, mais avec le Plan Marshall, le ver du libéralisme s’est installé dans le fruit.

Faudra-t-il maintenant attendre l’arrivée d’une nouvelle pandémie, pour tirer enfin les leçons des erreurs du passé, et remettre le « Pool Blanc » au premier rang des préoccupations de toutes les instances européennes et nationales ?

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